Entretien avec Clémentine Beauvais, partie 2

Entretien avec Clémentine Beauvais, la remarquable auteure de Songe à la douceur et des Petites Reines.

Songe à la douceur, paru il y a bientôt deux mois, est un roman innovant, poétique et moderne. Fulgurant de beauté, c'est l'un des plus beaux (si ce n'est le meilleur) qu'il m'ait été donnés de lire jusque là. Après l'avoir chroniqué en vers (>>>), je vous propose de découvrir, en un portrait chinois / interview de son auteure, Songe à la douceur.
Étant donné la richesse de l'entretien que nous avons eu, il est publié en trois fois.
>>> Partie 1 + concours
>>> Partie 3 / à venir
Bonne lecture !

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Si tu étais une œuvre qui a inspiré Songe à la douceur autre qu’Eugène Onéguine, tu serais... ?
Je dirais Aurélien et L’écume des jours, pour le côté histoire d’amour à la fois insolite et pas complètement réussie (dans un cas totalement tragique et pour l’autre bizarre), pour l'ambiguïté des sentiments, pour le sens de l’absolu et des responsabilités.
Et évidemment tout un tas de trucs de poésie que je lisais à l’époque.
En fait je lis très peu d’histoires d’amour donc celles qui me viennent à l’esprit ce sont des classiques. Pour les autres romans d’amour, ils ne ressemblent pas beaucoup à Songe à la douceur, ce n’est pas non plus Austen ou Brontë. Dans Aurélien, ce qui m’a probablement beaucoup plu, c'est qu'on évite aussi le côté romantique. L’écume des jours m'a plu, lui, pour son côté imagé, et très florissant, très coloré qui est presque comme une comédie musicale. Enfin c’est un texte qui m’accompagne depuis très, très longtemps.

Songe à la douceur est donc une sorte de réactualisation d’Eugène Onéguine. C’était donc un roman que tu portais et sur lequel tu avais envie de travailler mais est-ce que c’était aussi une histoire que tu avais envie de faire passer ?
Au début il n’y avait pas du tout d’idée de passage. C’était vraiment un support parce que tout était déjà mis en place dans ma tête grâce au roman : les personnages, les lieux, les impressions. Tout était déjà vivant pour moi donc finalement c’était assez facile de le dérouler de cette manière, je n’avais pas à inventer l’histoire, les personnages. Je ne m’étais pas dit « ha c’est cool, comme ça ça pourra présenter le roman ! » Mais quand j’ai lu les premières chroniques où des gens disaient qu’ils avaient ensuite acheté Eugène Onéguine ou qu’ils l’avaient d’abord lu avant Songe à la douceur, ou ce genre de choses, ça m’a fait très, très, très plaisir et j’étais vraiment ravie que ce soit le cas.
Ce qui est très difficile c’est quand tu es à la fois prof et auteure : je ne peux pas cacher que je suis très heureuse, évidemment, si le roman introduit le lecteur à Eugène Onéguine de Pouchkine.
Après ce n’est vraiment pas une nécessité pour comprendre et connaître le roman. Je ne pense pas du tout que la littérature ados ait vocation à faire passerelle vers la littérature adulte, ce n’est pas une manière de considérer ce genre de littérature. Mais moi j’ai lu Kamo, L’agence Babel et évidemment qu’à dix-onze ans, ça m’a donné envie de lire Les Hauts de Hurlevent et je l’ai acheté deux ans plus tard. Je n’étais peut-être pas prête tout de suite avant mais j’étais prête ensuite et c’est évident que c’était très important pour moi. Il y a plein de romans ados, ils étaient fans de telle ou telle chose et je me suis précipitée dessus ensuite. C’est génial.

Mais finalement pas parce que c’est une œuvre de littérature générale mais une œuvre que tu aimes et admires.
Et ça continue aussi d’arriver en littérature générale aussi. J’ai par exemple lu L’enfer de Dante pour pouvoir lire Inferno de Dan Brown.

Si tu étais une œuvre de Caillebotte, tu serais laquelle ?
Rue de Paris, temps de pluie. Il conjugue ici tout ce que j’aime : les parapluies (comme dans Les Parapluies de Cherbourg), et ce qu’il y a de plus précis et liquide chez Caillebotte parce que quand Tatiana parle de cela au début du roman ce n’est pas un hasard. D’ailleurs j’ai cette toile en affiche dans mon bureau, personne ne sait ce que c’est. Je le regarde tous les jours, je ne m’en lasse pas. J’aime beaucoup cette image à la fois poétique et banale.

Est-ce que tu penses que Le Jeune homme à la fenêtre représente Songe à la douceur ?
Pour moi c’était vraiment un clin d’œil au roman entier parce qu’il y a ce jeune garçon qui est peut-être dandy, ce n’est pas sûr d’ailleurs il n’est pas trop dandy, mais bon ce jeune bourgeois qui est à la fenêtre de ce bâtiment haussmannien qui représente à l’époque la modernité. Il regarde cette jeune femme dans la rue mais ce n’est peut-être pas elle, peut-être qu’en fait il ne regarde rien de spécial. Et voilà il y a une distance entre les deux personnages et on est libres d’inventer tout un tas d’histoires.
Il représente bien, aussi, le côté songeur – parce que tout le livre est un roman sur la rêverie finalement, sur l’imaginaire et l’espace qu’il peut y avoir entre ce à quoi on pense et ce qu’on est en train de regarder, de mesurer.
Et puis ce qui est marrant avec cette peinture c’est que quand on commence à se demander ce qu’il est en train de regarder il peut y avoir tout un tas de solutions dont le cheval, dont rien du tout, dont dehors ; parce qu’on n’a pas son visage à lui, il reste complètement mystérieux.

Si tu étais une figure de style utilisée dans Songe à la douceur, laquelle serais-tu ?
L’hyperbole. C’est ma manière numéro un d’être au monde ! Je sais pas, ’aime bien l’exagération, le côté outré des choses, faire que tout devienne plus extrême – enfin le langage, je ne mène pas du tout une existence outrée ou extrême – mais j’aime bien l’exagération qui va avec, je pense, avec le fait de raconter des histoires. Je pense que quand on aime bien raconter des histoires on peut prendre des histoires qui existent et en grossir les traits pour que ça devienne intéressant. Parce que tant qu’on ne grossit pas les traits, on garde le côté un peu plus médiocre de la réalité de tous les jours.

Et c’est une bonne manière de faire de l’humour.
Oui, tout à fait ! Je pense que mon humour fonctionne principalement par l’exagération. En général l’incursion de ce procédé provoque le rire parce que ça fait remarquer quelque chose qu’on n’avait pas remarqué avant, et puis parce qu’on imagine des mondes où il pourrait se passer quelque chose de totalement différent.

Est-ce que le fait d’écrire en vers a beaucoup changé ta façon de travailler ?
Pas plus que d’autres types d’écriture parce que finalement, pas plus que devoir écrire quelque chose de très humoristique pour Les Petites Reines, quelque chose de très différent pour La Louve ou de devoir écrire – comme j’avais fait pour La Plume de Marie – à moitié en prose et en alexandrins rimés cette fois, en théâtre classique. Donc je pense qu’à chaque roman de toute façon correspond une série de contraintes puisqu’en vertu du fait qu’on se place dans un type de récits, de genre ou de format spécifique, on a des contraintes. J’ai trouvé par exemple que les contraintes sont beaucoup plus fortes pour un récit qui paraît tout simple comme Les Royales baby-sitters où il faut sans cesse penser à ce que les images vont faire pour contrebalancer le texte ou pour raconter des choses en elles-mêmes. Alors après ça va donner des types de récit complètement différent : pour La Plume de Marie en effet où c’était à moitié en prose et des chapitre en théâtre classique. Là il fallait que les chapitres en théâtre participent à la fois à l’intrigue, soient en alexandrins rimés classiques hyper rigoureux etc. C’était une vraie contrainte.


Pour moi le style en vers libres de Songe à la douceur n’étaient pas moins une contrainte qu’un style. C’était vraiment ce que j’avais choisi d’adopter pour ce récit-là en particulier. Et je crois qu’il n’aurait pas pu être raconté – en tout cas pas par moi – d’une autre manière.
Là je suis en train de lire Réparer les vivants de Maylis de Kerangal qui est l’histoire d’une transplantation cardiaque et elle écrit de manière très rythmique avec des tonnes de prépositions qui se suivent pour imiter le rythme cardiaque. Au début je me suis dit « oh la la quelle contrainte d’écrire comme ça ! » et finalement je me suis dit que non, la forme épouse parfaitement le fond. C’est ça le récit, d’une certaine manière il n’aurait pas pu être autrement.

Si tu étais un des petits clins d’œil technologiques ou modernes de Songe à la douceur, lequel serais-tu ?
Il y a plein de gens qui ont adoré le côté MSN qui ne prend finalement qu’une page mais ça a du réveiller, pour eux, une espèce de nostalgie hallucinante des 20-30 ans comme si tout le monde regrettait terriblement MSN alors que c’était vraiment pourri. (Rires.) Moi de toute façon j’étais une vétéran du Nokia 3410, le téléphone à clapet. Je pense qu’il y a un truc, si, dont j’ai aimé me souvenir – et ce n’est qu’une ligne dans Songe à la douceur ! – c’est le fait que le SMS coûte cher en 2006 – et encore plus en 2001 ou 2002 quand j’ai commencé à l’utiliser – et qu’il fallait être absolument concis dans ce qu’on voulait dire. Mais aussi, et ça je ne l’ai pas mis dans le roman, le fait qu’on avait un maximum de 10 SMS enregistrables parce que la mémoire était vraiment, vraiment pourrie ! Et je me souviens que j’avais des copines qui recopiaient leurs SMS sur leurs agendas, sinon t’étais obligée de les effacer, c’était horrible. (Rires.) Je pense que c’est un peu cette période là où il fallait compresser les mots d’amour dans un message encore plus court qu’un Tweet de nos jours sinon tu claquais ton forfait et ta mère t’explosait, comme disait la pub à l’époque. « Si tu ne veux pas que ta mère t’explose, arrête d’exploser ton forfait ! »
Je pourrais aussi mentionner le petit crayon sur Skype qui bouge pendant que l’autre écrit et qui nous fait attendre terriblement ce qu’il va dire. Nos vies et nos relations sont en fait aujourd’hui médiées par la technologie.

Est-ce que tu n’as pas aussi l’impression que ça représente ta génération ? Tu tenais à avoir cette authenticité ?
Ça peut en effet vite dater le roman. Je ne fais pas ça pour faire un gimmick ou un gadget de tout façon. C’est la manière dont moi je me lis et me connecte au monde aujourd’hui, c’est essentiellement virtuel mais aussi réel. Les relations réelles sont donc impactées par celles virtuelles et vice-versa. C’était alors complètement naturel pour moi d’avoir ça. Donc c’est à la fois extrêmement spécifique et extrêmement contextuel et ça risque de dater le bouquin, surtout si on écrit pour les ados. Mais c’est un risque que je suis prête à prendre parce que personne n’a dit qu'il fallait qu'un roman reste pour le restant de la vie (et après !) et deuxièmement parce que ces moyens de communication ne changent pas le fait que les relations restent quand même très, très stables au fil des générations. Je n’ai pas de problème avec ça et je pense qu’il y a extrêmement de nostalgie pour ça et pour des moyens de communication qui datent parfois d’il y a seulement deux ans. Il y a quelqu’un qui m’a parlé de la roulette de l’iPod mini mais ça ne date pas d’il y a si longtemps ! Les gens ça leur manque déjà de faire ce geste.


À suivre...

Commentaires

  1. Une deuxième partie à la hauteur de la première, je ne me lasse pas de tes questions si pertinentes, et les réponses de Clémentine Beauvais semblent à la fois si spontanées et si réfléchies, c'est magique ! Et, sinon, je trouve ça follement beau de devoir soupeser chaque mot, chaque virgule d'amour, pour écrire un SMS -et d'avoir à recopier le message de l'être aimé sur son agenda.J'imagine la drôle de sensation quand on retombe sur ledit agenda des années plus tard, quand on redécouvre l'écriture ronde et maladroite, quand on réalise combien c'était important pour nous de pouvoir se souvenir qu'on avait été aimé.e.

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  2. Ton interview est génial, on apprend plein de choses sur l'auteur et son livre en même temps, j'espère que je pourrai la rencontrer un jour :) !!

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    1. Merci beaucoup ! J'espère pour toi.
      La suite dans une heure et demie... ;)

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  3. Excellent interview , constructif et surtout on apprend beaucoup .
    Merci

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  4. Super interview, on apprend beaucoup de choses sur livre,merci.

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