31 chambres à soi #17 | Jane Austen par Orianne Charpentier

Un portrait d'autrice par jour écrit par une femme durant le mois international des droits des femmes

À l'occasion du mois international des droits des femmes, 31 femmes d'exception vous proposent de partir durant tout le mois de mars à la rencontre de 31 autres femmes, toutes autrices, aussi talentueuses et impressionnantes que les premières.

Ainsi, chaque jour, pendant un mois, sur La Voix du Livre, découvrez un portrait d'une autrice, française ou étrangère, contemporaine ou historique, de littérature générale, jeunesse, musicale ou illustrée, écrit par une invitée, qu'elle soit autrice elle aussi ou bien illustratrice, blogueuse, chanteuse, dramaturge, comédienne, professeure, youtubeuse...

C'est parti pour un mois d'exploration de 31, voire 62, chambres à soi, ces lieux immanquables de littérature où les femmes trouvent, enfin, leur place.

Jour 17 : Orianne Charpentier présente Jane Austen
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Pendant toute mon adolescence, et jusqu’au début de l’âge adulte, je rêvais d’être Marcel Proust. J’essayais d’écrire comme lui, j’envoyais, année après année, dans l’espoir d’être éditée, des manuscrits tout pétris de Recherche — et bien sûr, je n’étais jamais publiée.
Et puis un jour, vers vingt ans, j’ai découvert Jane Austen. D’abord Orgueil et préjugés : je l’ai commencé un soir, je l’ai fini à l’aube. J’ai eu envie de le relire aussitôt.


Ce qui me charmait, au premier abord, dans Orgueil et Préjugés, c’est que l’héroïne ne plaisait pas au héros. Et non seulement elle ne lui plaisait pas, mais elle ne se souciait absolument pas de lui plaire. Elle persistait juste à être elle-même, indépendamment des contraintes et des pressions. Et lui n’en tombait pas amoureux parce qu’elle était jolie : il finissait par la trouver jolie parce qu’il en tombait amoureux.
Lors de cette première lecture, j’étais fascinée par l’habileté d’orfèvre de Jane Austen, qui cisèle son histoire avec un art plein de légèreté, et nous la rend vivante. Puis j’ai été étonnée par sa modernité, par sa hardiesse subtile, sous le vernis de conformisme (plus tard, j’ai découvert que Virginia Woolf, qui donne son titre à cette belle série de « Chambres à soi » et dont on a pu lire un beau portrait ici dernièrement, la considérait comme un génie, et comme une rebelle — ce que je trouve profondément juste).

Aux lectures suivantes, il m’a semblé qu’il y avait là, en plus, quelque secret caché entre les lignes. Une petite musique discrète et fugitive que je ne me lassais pas de réécouter, et qui me paraissait, à chaque ré-écoute, plus mystérieuse et plus attirante.
J’ai lu tous ses autres livres.


Chaque lecteur, chaque lectrice qui se laisse toucher par Jane Austen a son livre préféré. Pour certain·es, ce sera Emma ou Mansfield Park, pour d’autres Raison et sentiments ; pour moi, ce fut Persuasion. Je trouvais dans Persuasion un pouvoir de consolation inépuisable. J’avais, à ce moment, un peu mieux connaissance de la vie de Jane Austen : je savais qu’elle était morte jeune, après une agonie douloureuse ; qu’elle ne s’était jamais mariée et qu’elle avait vécu la vie quasi-recluse des vieilles filles sans fortune dans l’Angleterre du début du XIXe siècle. Une sorte de demi-vie, sans les affres de la misère mais sans douceurs non plus ; sans gloire, sans liberté, sans espoir de changement. Et pourtant, on sentait dans ses livres une joie persistante, même dans la mélancolie : l’invincible joie de créer.
Cette joie me faisait très envie.


Alors, peu après, j’ai tenté d’écrire comme Jane Austen… et je n’ai pas été pas publiée pour autant. Des années ont passé, je continuais à relire ses livres, surtout Persuasion, c’était presque obsessionnel. J’entendais toujours la petite musique, et j’avais plus que jamais l’impression qu’elle me parlait ; qu’elle parlait à l’être humain que j’étais, à la femme que je devenais, à celle qui, en moi, s’obstinait vainement à écrire.
Un jour, j’ai enfin compris. La musique disait : « Trouve ta voix ».
J’ai cherché encore, j’ai exploré d’autres chemins de mots. J’ai fini par en trouver un qui me ressemble.
Depuis, je crois que, par des voies mystérieuses, lire Jane Austen m’a délivrée de la peur d’être moi (qu’elle en soit ici remerciée).
O.C.
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Orianne Charpentier est née à Saïgon, a grandi au Maroc puis en Normandie. Autrice de six romans pour adolescent·es, elle est aussi journaliste et habite à Paris.
Sur le blog, découvrez mes chroniques de Après la vague (trois fois ! , et ) et sa participation au cadavre exquis de 2016.
Sur Boîtamo, découvrez un portrait chinois de l'autrice.

Commentaires

  1. C'est fou comme certaines plumes marquent et changent les gens... Jane Austen a ce pouvoir là !

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