31 chambres à soi #10 | Claire Brétecher par Magali Le Huche

Un portrait d'autrice par jour écrit par une femme durant le mois international des droits des femmes  
© Cécile Gabriel / Dargaud © Rita Scaglia / Dargaud

À l'occasion du mois international des droits des femmes, 31 femmes d'exception vous proposent de partir durant tout le mois de mars à la rencontre de 31 autres femmes, toutes autrices, aussi talentueuses et impressionnantes que les premières.

Ainsi, chaque jour, pendant un mois, sur La Voix du Livre, découvrez un portrait d'une autrice, française ou étrangère, contemporaine ou historique, de littérature générale, jeunesse, musicale ou illustrée, écrit par une invitée, qu'elle soit autrice elle aussi ou bien illustratrice, blogueuse, chanteuse, dramaturge, comédienne, professeure, youtubeuse...

C'est parti pour un mois d'exploration de 31, voire 62, chambres à soi, ces lieux immanquables de littérature où les femmes trouvent, enfin, leur place.


Jour 10 : Magali Le Huche présente Claire Brétecher
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Choisir UNE femme !
J’ai beaucoup hésité.
Une femme qui a marqué mon enfance, ou ma vie d’adulte?
Gisèle Halimi ou Bernadette Desprès ?



J’ai choisi l’enfance.
Et j’ai choisi une autre femme encore…


J’ai commencé à lire tard. Je pensais que ce n’était pas normal, car je ne comprenais rien à ce que je lisais. J’étais toujours très vite hypnotisée par les lignes blanches tarabiscotées que forment les lettres noires les unes au dessus des autres sur le fond blanc. Je me racontais des histoires avec ces drôles de lignes blanches. Je les voyais comme des petits chemins qui dégoulinent sur la page. J’aimais les histoires, énormément, et j’étais fascinée par les images.

Chez mes parents il y avait toujours des livres de dessins posés sur la table basse du salon. Je passais des heures à les regarder. Ce qui me plaisait, c’est qu’ils n’étaient pas vraiment pour les enfants. Il y avait des livres de Topor, de Siné, de Sempé, de Reiser et Bretécher.
Bretécher, la seule femme sur la table du salon.
Mes parents avaient le premier tome d’Agrippine et Les Frustrés. Je trouvais que les personnages avaient des têtes bizarres, mais une bizarrerie très reconnaissable. Toute familière. Agrippine avait l’air cool. Elle avait le look, mais pas la tête. Ça me faisait marrer. Elle avait l’air de mauvaise humeur avec de l’humour. Je pouvais me projeter.

Ces dessins m’impressionnaient car ils représentaient le monde des adultes. Je le reconnaissais, ce monde m’attirait et me dégoutait. On voyait des strings, des bouts de chair, des postillons, des odeurs, des noms bizarres. Je reconnaissais ma mère, ma tante, ma cousine, mon voisin, mon quartier, ma tentative de comprendre quand les adultes parlent beaucoup avec des mots compliqués pour finalement dire des choses simples.


J’observais scrupuleusement les dessins, les corps qui bougent et racontent. Tous les traits me semblaient évidents. J’aimais la liberté d’Agrippine, ce personnage qui ose, féminin, mais un peu cracra, avec le corps qui déborde, vive et molle. Les femmes, élégantes et dérangées, à la mode, mais débraillées. Ce décalage entre le désir des personnages d’être conforme à une certaine beauté, à la mode, et la pauvre réalité quotidienne subie m’amusait beaucoup, et m’intriguait aussi.
Dessiner avait l’air facile, je sentais les mouvements, je voulais les imiter comme les enfants imitent les grands : je rêvais de dessiner comme Claire Bretécher et de parler comme Agrippine.


Cette découverte des bandes dessinées de Claire Bretécher, enfant, est un souvenir fort. J’ai continué à lire Agrippine, Les Frustrés, j’ai découvert Cellulite. En vieillissant, je suis toujours aussi fascinée par sa liberté et son talent. Encore aujourd’hui, lorsque je replonge dans une bande dessinée de Claire Bretécher, ma lecture est reste encore imprégnée par ce souvenir fort. Elle m’a donné et me donne toujours envie de dessiner.
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Née en 1979 à Paris, Magali Le Huche a étudié l'illustration aux Arts Décoratifs de Strasbourg avant de revenir s'installer là où elle était née. Elle a publié, depuis la fin de ses études, près d'une centaine de livres et illustre régulièrement pour la presse jeunesse. Elle est l'illustratrice et parfois l'autrice de héros adorés des enfants : Paco, Non-Non ou Jean-Michel le Caribou. Plus récemment, elle a participé à l'adaptation en bande-dessinée de Verte de Marie Desplechin.
Sur le blog, ma chronique de La tribu qui pue.

Commentaires

  1. J'adore ce portrait. Et dans leurs traits d'illustratrices, tant de points communs aussi. C'est beau de découvrir chaque jour ces femmes de talent qui en inspirent d'autres :)

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    1. Oui c'est découvrir à la fois celles qu'elles présentent et celles qui présentent, j'aime beaucoup ces ponts qui se créent... surtout que certaines autrices présentées vont à leur tour écrire pour le blog, et ça aussi c'est chouette ;)

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