Tour du monde de l'édition jeunesse | 7 lieues & un livre

Interview de Noémie / 7 lieues & 1 livre qui vous propose un tour du monde de la littérature jeunesse !

Je vous présente Noémie ! Cette jeune diplômée en édition (jeunesse) est partie, mardi 2 janvier, en voyage... Et quel voyage ! Elle posera, les huit prochains mois, ses valises dans sept maisons d'édition jeunesse différentes partout dans le monde.
Je l'ai rencontrée pour vous et elle nous propose de nous emmener un peu dans ses bagages ! D'abord par une petite discussion avec elle puis par un petit cycle de chroniques que nous ferons tout au long de son voyage sur les albums jeunesse qu'elle rencontrera au cours de son périple...
Le but ? Faire avec vous un petit tour du monde de l'édition jeunesse, dans sa diversité et ses points de convergence, et comprendre aussi l'importance des échanges internationaux en édition (jeunesse) ! Ça vous dit ? Alors on y va !

Peux-tu présenter ton projet 7 lieues & 1 livre ?
7 lieues et un livre est un projet de tour du monde autour de l’édition jeunesse et plus précisément autour des albums jeunesse. Ma démarche découle d’abord d’une volonté personnelle. Je viens tout juste de finir un Master 2 en édition à l’université Paris-Nanterre et après deux premiers stages auprès d’éditeurs jeunesse étrangers, au Royaume-Uni et au Liban, j’avais envie d’un projet plus englobant alliant l’édition jeunesse et les voyages. L’idée de départ a été alors de partir faire des stages dans les services éditoriaux de maisons d’édition jeunesse à travers le monde pour à la fois avoir un aperçu de la production littéraire jeunesse à l’échelle mondiale et des spécificités de chaque pays en matière d’albums. Je me suis très vite arrêtée sur sept maisons d’édition et après avoir pas mal prospecté à droite, à gauche, je pars finalement début janvier pour huit mois et demi de découverte. À découvrir : Yanbow Al-KItab au Maroc, Orfeu Negro au Portugal, Bakame au Rwanda, Karadi Tales en Inde, Gecko Press en Nouvelle-Zélande, Amanuta au Chili et 400 coups au Québec.


Ton projet est un très grand projet autour de la littérature jeunesse : pourquoi le choix de cette littérature-là ?
Rétrospectivement, je me rends compte que le livre a toujours beaucoup compté dans ma vie. Je me souviens du cérémonial quasi sacré de l’histoire lue par ma mère avant de m’endormir, de ma joie lorsqu’on me demandait d’inventer des histoires et de fabriquer des livres à l’école, etc. C’est un peu cliché, mais c’est vrai. Cependant, c’est plus une série de hasards et de rencontres qui m’ont conduite à me plonger dans l’édition jeunesse avec mon premier stage dans une maison d’édition jeunesse anglaise. J’y suis allée avec l’idée que l’édition jeunesse serait plus accessible en anglais que la littérature générale. J’avais tout faux et j’ai vite compris que la rythmique de la langue anglaise m’empêcherait de travailler la partie textuelle des albums que la maison publiait. En revanche, j’ai découvert que la littérature jeunesse, c’était aussi une exigence par rapport aux illustrations et au support papier lui-même. Et c’est ce trio texte-illustration-support, qu’on ne retrouve à mon sens dans aucune autre littérature, qui m’a définitivement séduite. Rajoutez en plus les réactions sans concessions des enfants lors qu’ils découvrent un livre et tous les enjeux pédagogiques autour de ces derniers et vous savez tout.

Comment as-tu choisi les maisons d’édition dans lesquelles tu allais aller ? Ont-elles un lien entre elles, quelque chose qui te réunit à elles ?
Photo : Actualitté
Tout d’abord, je tiens à préciser que mon trajet s’est imposé à moi au fur et à mesure des accords avec les maisons d’édition et que je n’ai pas particulièrement choisi les pays dans lesquels je vais me rendre. J’ai commencé par déterminer des aires géographiques qui faisaient sens dans ma tête, à savoir une maison d'édition par continent puis une séparation Amérique du Nord et Amérique du Sud et la délimitation d’un espace arabe à part entière. D’où le chiffre 7. Ensuite ce sont posées de nombreuses contraintes, certaines que je me suis imposées comme le fait de ne pas forcément aller vers des marchés éditoriaux très établis ou connus (je ne voulais par exemple pas aller aux États-Unis ou en Angleterre), d’autres qui se sont imposées à moi comme la barrière de la langue (je pense aux pays qui utilisent des alphabets totalement différents du nôtre comme la Chine, le Japon ou la Russie). De là a commencé ma prospection. J’ai parcouru la liste des maisons d’édition présentes au Salon international du livre jeunesse de Bologne en Italie, je m’y suis rendue pour établir le contact avec certains éditeur·rices. J’ai essuyé quelques refus et quelques échanges d’e-mails plus tard, j’ai finalement réussi à réunir des éditeur·rices de la Terre entière autour de ce projet. Je ne suis pas forcément liée à ces éditeur·rices mais ils ont des similarités : une ouverture vers l’international, une production souvent riche en albums et de fortes personnalités à leur tête (souvent des femmes d’ailleurs).


Tu pars sillonner le monde à la découverte de nouvelles expériences professionnelles : j’imagine que ce projet va t’apporter beaucoup personnellement mais pourquoi avoir décidé de partager cette expérience avec le monde de la littérature jeunesse française ? Que crois-tu que la découverte de ces autres manières de faire le livre jeunesse puisse nous apporter ?
Des stages à l’étranger j’en ai déjà fait et je pouvais continuer à en faire toute seule dans mon coin. Seulement, pour moi, tout l’intérêt et le défi de projet résident dans le partage et l’idée d’échange. Avec le grand public d’abord, via le blog ou les réseaux sociaux, pour découvrir et mieux comprendre ce qui se cache derrière la chaîne du livre et le métier d’éditeur·rice (qui reste toujours un fabuleux mythe pour beaucoup de personnes). Et bien sûr aussi avec le monde de la littérature jeunesse française. Cette expérience peut être d’une richesse incroyable car elle permet de prendre du recul par rapport à nos enjeux et à nos questionnements nationaux en matière d’édition jeunesse. En tant qu’éditrice, je pense qu’il est bon de s’interroger lorsqu’on publie un nouveau livre sur les pourquoi et les comment, sur les idées qu’on veut véhiculer et ce qu’on propose à nos lecteur·rices. Beaucoup, vraiment beaucoup, de livres sortent chaque année. J’ai présenté mon projet à la librairie Liragif, la librairie qui sponsorise mon projet, il y a peu et je me suis rendue compte à quel point l’album jeunesse cristallise des questions : quelle matérialité ? quels sujets tabous et quels sujets « à la mode » ? quelles réalités économiques ? … Et ces questionnements sont d’autant plus important à avoir en tête qu’aujourd’hui les ventes et les achats de droits à l’étranger sont partie intégrante de la chaîne du livre et de l’activité des maisons d’édition.

 Soirée de départ de Noémie à la librairie Liragif

Crois-tu que le livre jeunesse a vocation à parcourir le monde ? Crois-tu qu’il puisse créer des ponts positifs entre nos différentes cultures ?
Oui j’en suis convaincue. Je crois que l’édition jeunesse jouit d’une plus grande liberté de ton et de forme que n’importe quelle autre industrie culturelle. Cette liberté se reflète dans le travail des artistes, auteur·rices comme illustrateur·rices. C’est un laboratoire d’expérimentation où chacun peut y trouver son compte car chacun parle la même langue, la langue de l’imagination. Lorsque l’on lit un livre pour enfants, tout peut arriver en tournant les pages et on voyage un peu déjà à notre façon. Et cette ouverture d’esprit, elle permet de s’ouvrir à d’autres cultures et de comprendre la différence.

Tu es également soutenue par un festival et une librairie. Quels partenariats mènes-tu avec eux et quel intérêt trouves-tu à réintroduire dans ton projet ces acteur·rices de la chaîne du livre ?
Le festival comme la librairie partenaires de ce projet sont liés par un vif intérêt pour la traduction littéraire. Ils vont à la fois suivre mon projet, avec la mise en place d’un espace au sein de la librairie où il sera possible de consulter au moins un album des différentes maisons d’édition mois après mois, et recueillir mon retour d’expérience avec une intervention prévue lors de la prochaine édition du festival de traduction littéraire VO-VF. Grâce à elles et eux, j’ai également pu entrer en contact avec une école primaire qui va également travailler autour de ce projet. Pour moi l’idée de transmission est importante. Et qui mieux que des libraires pour transmettre leur connaissance de la littérature. Et également recueillir les retours de lecture de leurs client·es. L’éditeur·rice est peut-être le premier lecteur ou la première lectrice du manuscrit d’un auteur ou d'une autrice mais le·la libraire est le premier lecteur ou la première lectrice du livre fini.

Le départ est maintenant très proche… Comment te sens-tu ? Qu’est-ce que tu attends le plus et à l’inverse qu’est-ce qui te fait le plus peur ?
Je dois avouer que les dernières semaines sont speed. Il faut boucler pas mal de choses en France pour être sûr de partir tranquille. Je suis d’un naturel organisé et calme alors je n’ai plus qu’une hâte : partir. Je suis très enthousiaste par rapport à ce projet et, en même temps, j’ai vraiment envie qu’il devienne concret après près d’un an à travailler dessus. Ce que j’attends le plus est sans aucun doute le départ et ce qui me fait le plus peur est probablement le retour.

Portrait chinois
Si tu étais un auteur ou une autrice de littérature jeunesse…
Jon Klassen, un de mes premiers coups de cœur d’adulte en littérature jeunesse avec Ceci n’est pas mon chapeau. Je trouve ses livres extrêmement intelligents dans leur narration et très beau esthétiquement. Son style est très vite reconnaissable, il est à la fois subtil, concis et se joue de la lumière et de l’obscurité aussi bien dans ses illustrations que dans ses histoires. Et puis cette obsession pour les chapeaux, c’est universel non ?


Si tu étais une maison d’édition jeunesse française…

Little Urban et pas seulement parce que c’est la maison d'édition jeunesse qui soutient mon projet ! ;) Leur aventure a commencé il y a deux ans et moi, je les suis depuis quasi le commencement et leur album [chroniqué sur La Voix du Livre1,2,3 on est tous des cats illustré par Jon Klassen (tiens, tiens). Je les ai (un peu) harcelé pour effectuer mon stage de fin d’étude chez elles·eux et j’ai été bluffée par l’énergie et la fraîcheur que toute l’équipe dégage, en interne comme en externe. Et quand je parle de l’équipe, j’y inclus les artistes, les freelances… Il faut voir l’éditrice présenter les prochaines parutions aux libraires ou aux représentant·es, un vrai show. Quand elles·ils ont entendu parlé de mon projet, ils ont tout de suite voulu y prendre part. Et comme ils ne font rien comme tout le monde, ils m’ont demandé d’imaginer des ateliers d’origami relatifs à leurs albums et à leur univers ainsi que des chroniques mensuelles libres sur la littérature jeunesse à travers le monde. J’ai dit oui tout de suite.

Si tu étais un métier de l’édition jeunesse…
Ingénieuse papier. Je ne suis pas une folle des pop-ups mais j’aime l’idée d’abolir les frontières du livre et de sortir de la page. En concevant les pop-ups, les ingénieur·ses papier racontent des histoires qui vous sautent littéralement aux yeux.

Les très beaux livres pop-up de David Carter (Gallimard Jeunesse) — Image : Parfum de livres
Si tu étais une étape de création d’un album jeunesse…
Le calage en imprimerie. Je trouve toujours qu’il y a quelque chose de magique à voir un livre se matérialiser devant ses yeux. Pour l’éditeur·rice, c’est quitte ou double, elle·il sait tout de suite si elle·il a pris les bonnes décisions dans les cadrages, le choix de la chromie ou celui du papier. Et puis l’impression, cela désigne des réalités très éloignées, des machines super perfectionnées au collage manuel un à un des pop-ups. Dans le cas de ce projet, j’espère beaucoup avoir la chance de visiter l’imprimerie qui fabrique les livres de l’éditeur indien Tara Books à Chennai. Cet éditeur fabrique des livres entièrement à la main, en sérigraphie. Le résultat est vraiment bluffant.

Si tu étais une des maisons d’édition dans lesquelles tu vas te rendre…
Joker ! Pas facile de répondre à cette question. Chaque maison est tellement différente. Pour le côté un peu improbable et le sacré pari que cela a dû être au début, je dirais peut-être Gecko Press en Nouvelle-Zélande. Créée en par Julia Marshall, Gecko Press est une maison d’édition anglophone dont la particularité est de publier principalement des œuvres achetées à l’étranger. S’il est commun en France d’acheter des titres anglo-saxons pour les traduire en Français, l’inverse est beaucoup plus rare. D’où une grande exigence de l’éditrice lorsqu’elle achète des titres.

Si tu étais un pays dans lequel tu te rends…
Le Chili je pense. Une terre de contrastes et d’extrêmes entre cercle polaire et tropique, entre littoral et montagne. Des fleurs qui poussent parfois en plein milieu du désert de l’Atacama à Valparaíso. Ce pays me fait de plus en plus rêver. Et puis tou·tes les Chilien·nes que j’ai pu croiser dans ma vie étaient super sympa. J’espère qu’il en sera de même sur place.

Si tu étais une des personnes que tu as rencontré autour de ce projet…
J’avoue avoir de l’admiration pour toi et ton blog. Ça me rassure de voir que l’édition jeunesse est toujours le théâtre d’une ébullition d’idées et d’envies en tout genre. L’édition jeunesse est en réinvention permanente dans sa création et dans sa transmission. J’ai confiance dans les artistes pour créer des livres de plus en plus fous. Mais j’aime aussi à voir des médiateur·rices du livre se dévoiler et se réinventer à l’infini. Les blogueur·ses le font très bien en nous rapprochant des œuvres et de leurs auteur·rices. Et je suis très fière et contente que tu aies accepter de faire partie du projet ! ;)

Le projet 7 lieues & 1 livre vous intéresse ? N'hésitez pas à suivre son aventure sur les différents sites et réseaux sociaux de Noémie :

Commentaires

  1. Quel projet de dingue ! C'est incroyable.
    Bon d'une, je trouve l'idée hyper intéressante, de voir les différentes éditions dans des pays aussi différent et en plus je trouve qu'elle a un sacré courage pour ce tour du monde. Bref, je suis très admirative !

    Hâte de suivre la suite de ses aventures :)

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    1. J'approuve tout ce que tu dis ! Merci de ton commentaire :)

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  2. Han, comment étais-je passée à côté de cette jeune femme, de ce projet fou ?... Me voilà inscrite partout sur ses réseaux, et déjà sous le charme. On partage une passion pour la LJ, et pour Jon Klassen !

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    1. Ouf une bonne nouvelle ! ;) Pourquoi pas pour ta gazette... ?

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    2. Autant te dire que je l'ai tout de suite noté dans un coin de ma tête :) Reste à voir si ma gazette sera toujours d'actualité à son retour dans quelques mois. J'y compte bien en tout cas !

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  3. J'ai beaucoup lu à ce sujet, mais les choses les plus intéressantes et intrigantes j'ai trouvées sur https://nexter.org/fr/

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