9 octobre 2022. Annie Ernaux, Prix Nobel de littérature !

9 octobre 2022.

Jeudi, à la gare, j'ouvre Instagram et je lis : « Annie Ernaux, Prix Nobel de Littérature 2022 » ! Je suis euphorique, immédiatement. Ému aussi. Je l'ai lue il y a peu seulement, grâce à une amie qui m'a donné son petit livre L'événement, et la stupéfaction de ma lecture est encore là, tout active sous la peau.

Je le dis à Nathan, qui le dit à une autre amie, etc. De mon côté, je suis déjà en train d'ouvrir Instagram : je veux finir ce post que j'essaie d'écrire depuis ma lecture qui m'a chamboulé d'émotion et d'admiration. Je n'ai pas de photo prête du livre — j'attendrai d'être rentré à Paris. 

Une fois rentré, je cherche une photo à prendre mais rien de ce que je ne prends ne me convainc. Il n'y a pas de jolie photo à faire de ce livre. On ne peut en parler qu'avec la simplicité toute puissante de l'écriture d'Annie Ernaux : le plus possible sans fioriture, sans style dit-elle. Sans rien cacher.

 

L'événement, c'est le récit de son avortement clandestin dans les années 60. Elle y raconte son histoire, ses souvenirs, avec le style épuré qu'on lui connaît, ramassé à l'essentielle. 

Même si je connaissais sans l'avoir lue Annie Ernaux, et l'influence qu'elle a eue et a toujours sur des écrivain·es contemporain·es, j'ai quand même été surpris par la finesse et la puissance émotionnelle et politique de son écriture. On n'a jamais été aussi proche de comprendre tout ce que cette clandestinité imposée sur un droit aussi fondamental — un droit du corps — avait d'injuste. C'est ce non-style (qui en devient un) sans fards, cru parfois, qui laisse éclore l'émotion, la décuple. Aucun style possible car presque aucun mot à poser sur cette violence. 

 

En même temps, elle fait le récit de cet avortement, elle raconte aussi le contexte d'écriture de ce petit texte, qu'elle mène comme une enquête sociologique très fine sur celle qu'elle était à l'époque, ce qui l'a conduite à cet événement et ce que ça a changé de sa vie après ça. 

La méthode est expliquée au début : tout le texte a la forme d'une enquête... Pour autant tout le texte a aussi la forme d'un roman, d'un récit de vie, avec ce que ça implique d'incarnation et d'empathie. 

Elle ne cache donc pas la subjectivité qui est la sienne (en tant qu’écrivaine mais aussi en tant qu’analyste), entremêlée bien sûr à l'émotion du sujet. Et celle-ci s'incarne d'autant plus que c'est aussi l'occasion pour l'écrivaine de montrer le travail de l'enquêtrice-écrivaine à l'œuvre

 

C'est ce qui m'a aussi plu, en tant qu'auteur moi-même au travail. Oui, c'est un texte fort, essentiel, osé pour son époque et glaçant d'actualité (comment ne pas le lire avec le recul inquiétant des droits des femmes à l'avortement partout dans le monde et notamment aux USA ?)... 

Mais c'est aussi un texte écrit à partir du réel qui pose toutes les questions imposées par ce genre et qu'elle monte en petit laboratoire d'écriture : qu'est-ce qu'on a le droit de dire ou non quand on écrit à partir du réel ? Qu'est-ce qu'on peut raconter ou au contraire ne pas dire, les noms les lieux, des personnes ? Qu'est-ce qu'on peut extraire du réel qui sert au récit mais ne pas se l'approprier ? Qu'est-ce qui nous appartient quand on écrit ? 

 

Je suis donc euphorique, ému, qu'on donne à cette écrivaine (la première française) un prix Nobel aussi réjouissant littérairement que politiquement. Il vient saluer à mon sens une écriture dépouillée au plus proche de la vérité, de la justice, qui s'inscrit dans le sillage d'une littérature qui cherche à comprendre le réel et d'une forme de sociologie romancée mais toujours honnête, qui doit autant à Bourdieu qu'aux luttes féministes des cinquante dernières années. 

Alors si je n'avais encore jamais lu Annie Ernaux, c'est sûr, je la relirai bientôt.

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« Depuis des années, je tourne autour de cet événement de ma vie. Lire dans un roman le récit d'un avortement me plonge dans un saisissement sans images ni pensées, comme si les mots se changeaient instantanément en sensation violente. De la même façon entendre par hasard La javanaise, J'ai la mémoire qui flanche, n'importe quelle chanson qui m'a accompagnée durant cette période, me bouleverse. » Annie Ernaux.

d'Annie Ernaux
Aux éditions Folio - Gallimard
144 pages · 6,60 €
Photo Annie Ernaux © Olivier Roller / Fedephoto

 

Commentaires

  1. Je n'ai pas encore lu de livres d'Annie Ernaux, je comptes lire ses livres un jour et je suis ravie de cette nouvelle !

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    1. J'espère (enfin, j'en suis sûr !) que ça te plaira ! Merci de ta lecture et de ton commentaire. :-)

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  2. Il me tarde de lire cette auteure ! J'avais adoré l'adaptation de L'événement au ciné. Je me pencherai peut-être sur ce roman pour commencer :)

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    1. Il faut que je vois l'adaptation ! Bonne découverte à toi. ;-)

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