31 chambres à soi #8 | Virginia Woolf par Laurence Faron

Un portrait d'autrice par jour écrit par une femme durant le mois international des droits des femmes

À l'occasion du mois international des droits des femmes, 31 femmes d'exception vous proposent de partir durant tout le mois de mars à la rencontre de 31 autres femmes, toutes autrices, aussi talentueuses et impressionnantes que les premières.

Ainsi, chaque jour, pendant un mois, sur La Voix du Livre, découvrez un portrait d'une autrice, française ou étrangère, contemporaine ou historique, de littérature générale, jeunesse, musicale ou illustrée, écrit par une invitée, qu'elle soit autrice elle aussi ou bien illustratrice, blogueuse, chanteuse, dramaturge, comédienne, professeure, youtubeuse...

C'est parti pour un mois d'exploration de 31, voire 62, chambres à soi, ces lieux immanquables de littérature où les femmes trouvent, enfin, leur place.

Jour 8 : Laurence Faron présente Virginia Woolf
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Virginia Woolf, femme, féministe, éditrice, écrivaine
Comment oser disserter sur l’une de mes figures tutélaires, en peu de temps, au nom de mon seul pouvoir de lectrice, non spécialiste, non universitaire… Comment convoquer mes souvenirs de lecture sans recourir à l’analyse des autres, sans relire, même, comme une remontée dans le temps ? Comment choisir, parmi les rencontres littéraires, les moments de lecture, les compagnes de papier, en distinguer une ?


De prime abord, sans réfléchir, le nom de Virginia Woolf s’est imposé. J’ai tout de suite pensé à elle, puis me suis ravisée : trop cérébrale, trop tourmentée, … trop anglaise ! Comment ne pas avoir peur ?

Alors, plutôt Annie Ernaux, l’art porté à la perfection de parler de toutes en parlant d’une, cette plume ciselée, acérée. Fine observatrice de la condition féminine, de la vie de la province française, elle aussi autrice d’un roman intitulé Les années, elle a produit l’un des textes les plus subtils sur le consentement qu’il m’ait été donné de lire, Mémoire de fille. J’hésitais.
Mais Ms Dalloway aussi, suivie pas à pas dans sa vie d’épouse, de première domestique parmi les domestiques et ses déambulations, talonnée par l’horloge, tentée par la fuite, au bord de la révolte... Alors Virginia Woolf !


Pourquoi pas Colette, pour les souvenirs d’enfance, les senteurs de jardins et de cuisine, l’image de la mère dans le magnifique Sido qui donnera son nom à ma fille, pour la transmission, la transgression, la musique de la prose, l’émancipation.
Mais le scandale, l’ostracisme, la solitude, elle les a connus elle aussi après ses écrits sur le corps, elle les a assumés avec Vita, Orlando. Et sa phrase n’est pas moins musicale. Alors Virginia Woolf !


Simone de Beauvoir, bien sûr, et Les mémoires d’une jeune fille rangée, dressé comme une barricade entre le conducteur de la voiture paternelle et ma colère d’adolescente, avant que Le deuxième sexe ne devienne mon livre de chevet, non parce que je le préfère mais parce qu’on y trouve tout, le moment venu.
Mais Un lieu à soi, tout de même, est-ce que tout n’y est pas aussi ? l’humour et le talent de pamphlétaire en plus, l’essentiel en tout cas pour une Française née après 1944 et 1975 : avoir une pièce pour écrire, du temps pour penser par soi-même, un revenu autonome, un espace propre. Alors Virginia Woolf !


Ou bien encore Nathalie Sarraute, l’inventrice, la précise, l’analyste, la plus novatrice parmi mes engouements littéraires, que l’on croise avec Violette Leduc, aux côtés de Beauvoir. La seule dont j’ai l’œuvre complète.
Mais il y a Orlando, foisonnant, déroutant, dérangeant, au moins aussi novateur : pas étonnant qu’Isabelle Huppert s’en soit emparée sur scène pour l’un de ses plus grands rôles. Alors Virginia Woolf !


Marguerite Yourcenar ? dont j’ai encore en tête Les mémoires d’Hadrien, Les monts noirs, mais aussi le vibrant discours à son entrée à l’Académie française en 1981, première femme immortelle comme disaient les journalistes de l’époque. Je ne suis pas sûre que je me réjouirais encore d’une telle compromission…
Mais tout de même Hogarth Press… Elle était éditrice aussi, professionnelle, pragmatique (pourquoi sinon refuser Ulysse ?!), connaissait le sens du défi économique et peut-être du compromis. Alors Virginia Woolf !


Ou bien alors des découvertes plus récentes ? Sofi Oksanen qui met en scène le corps des femmes automutilé par les dérèglements alimentaires, fruits vénéneux du stalinisme, de la guerre et des purges. Ou encore Chimamanda Ngozi Adichie, une voix forte de femme prise entre la tradition nigériane et le désir de modernité, une voix d’émigrée, de femme seule, déracinée, nostalgique.
Mais Les Vagues, Septimus et la tentation d’en finir qui gagnera. Alors Virginia Woolf !


Ne parvenant pas à choisir, j’ai opté pour une approche scientifique : combien des livres de chacune de ces écrivaines avais-je dans ma bibliothèque ? Si l’on excepte mon volume de La Pléiade, Virginia Woolf arrive en tête, sept de ses livres, millésimés entre 1990 et 2017. Ma vie d’adulte, en fait, passée l’adolescence, une vie de femme, de féministe, d’éditrice, de lectrice que j’ai aimé partager sans vraiment les départager.



Trois guinées, lu avant 1990
Orlando, 1993
Ms Dalloway, 1996
The Waves, 1999
Un lieu à soi, 2017
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Son rêve de capitale comme phare, une bonne dose de pragmatisme et un soupçon d’indécision ont poussé Laurence Faron à des études à Sciences Po en parallèle à une maîtrise de droit (on dit Master aujourd’hui) bien utile par la suite. C’est un souci d’indépendance économique qui la conduit vers les métiers de la banque et le monde alors inventif de la finance. La maturité venue, elle décide de concilier sa passion pour les livres, son sens critique et son esprit d’entreprise et se convertit (un sacerdoce en effet) dans l’édition. Après avoir été éditrice de livres scolaires pendant près de douze ans, Laurence Faron crée avec Mélanie Decourt la maison d’édition pour la jeunesse Talents Hauts en 2005. Forte de ses convictions féministes, lasse des histoires de princesses roses à paillettes et de super-héros qui ne pleurent jamais, elle publie des livres qui bousculent les idées reçues. Elle défend la liberté de choix éditoriaux engagés autant que l’indépendance de la maison et est convaincue que les livres peuvent changer le monde.

Commentaires

  1. De bien belles passerelles entre ces écrits de femme. Merci !

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  2. Ah ah, tellement chouette ce portrait caché :)
    Ca me donne envie de lire davantage chez Talents Hauts tiens :)

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