31 chambres à soi #3 | Zeina Abirached par Noémie Bellanger
Un portrait d'autrice par jour écrit par une femme durant le mois international des droits des femmes
À l'occasion du mois international des droits des femmes, 31 femmes d'exception vous proposent de partir durant tout le mois de mars à la rencontre de 31 autres femmes, toutes autrices, aussi talentueuses et impressionnantes que les premières.
Ainsi, chaque jour, pendant un mois, sur La Voix du Livre, découvrez un portrait d'une autrice, française ou étrangère, contemporaine ou historique, de littérature générale, jeunesse, musicale ou illustrée, écrit par une invitée, qu'elle soit autrice elle aussi ou bien illustratrice, blogueuse, chanteuse, dramaturge, comédienne, professeure, youtubeuse...
C'est parti pour un mois d'exploration de 31, voire 62, chambres à soi, ces lieux immanquables de littérature où les femmes trouvent, enfin, leur place.
Jour 3 : Noémie Bellanger présente Zeina Abirached
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Il n’en fallait pas plus pour me rappeler cette ville cosmopolite et extatique. Parce que cette autrice de bandes dessinées incarne cette ville mieux que quiconque.
C’est d’abord le contraste du noir et du blanc, des traces encore visibles des éclats d’obus et des festives nuits beyrouthines, des embouteillages à rallonge et des trottoirs désertés. Et puis, viennent tous les détails sur le dessin avec la myriade de motifs sur les tissus, l’application à reproduire l’architecture de tous les bâtiments et à réanimer chaque vie décousue. Émotion après émotion, comme un kaléidoscope. Les histoires se croisent et s’entrecroisent dans chacune de ses bandes dessinées, s’inspirant en grande partie de la vie de l’autrice, mais puisant surtout sur les racines d’un pays communautaire dans lequel coexistent tant bien que mal les religions, les origines et les croyances.
Au dessin se superpose le texte, volubile et malicieux, truffé de souvenirs pour ses lecteurs et lectrices. Qu’elle évoque la guerre dans Mourir partir revenir, Le jeu des hirondelles ou qu’elle rende hommage au fabuleux facteur de pianos qu’était son aïeul dans Le Piano oriental, le ton est le même, enfantin et léger, comme si la vie n’était qu’un jeu de bambins. On ne se soucie pas du lendemain, on verra bien et yallah !
Le texte est aussi polyglotte, comme elle le décrit elle-même, tricotant et détricotant le mélange d’arabe, de français et de dialecte libanais qui fait la richesse de sa langue natale. De Beyrouth, elle semble avoir enregistré tous les sons qu’elle retranscrit sous la forme d’onomatopées. La ville est sonore, traumatisée par l’atmosphère pesante du silence lors des guerres civiles passées. Ses pages le sont tout autant, tant le bruit vient se calligraphier dans les motifs. J’ai eu la chance, pour ma part, de la voir lors d’un concert dessiné donné au Forum des images à Paris autour de son titre Le Piano Oriental. Accompagnée du pianiste Stéphane Tsapis, elle y mettait en scène sa bande dessinée le plus naturellement du monde. Et les pages s’animaient comme on donnerait vie à une partition de musique.
Oui, vivant est l’adjectif qui définit le mieux le travail de Zeina Abirached. Pas particulièrement engagée dans une cause ou une autre, mais citoyenne du monde. Elle se définit par les lieux dans lesquels elle habite, par les personnes qu’elle rencontre. Elle aborde dans son œuvre tout autant la richesse d’un métissage des cultures que les difficultés auxquelles doivent faire face les immigré·es comme elle. Ainsi, elle parle avec beaucoup d’humour des images qui venaient à la tête des premier·ères Françai·es qu’elle a rencontré quand elle disait venir du Liban à la fois les clichés folkloriques du houmous ou des baklavas que le sentiment de chaos qu’inspire Beyrouth. L’immigration est un tiraillement entre d’où on vient et où on habite, mais loin d’être une blessure ou une contrainte, il est pour Zeina Abirached un choix, la possibilité de pouvoir faire des allers-retours entre Beyrouth et Paris. Et on remarque au détour de quelques références que les deux pays ont autant de différences que de points communs : les enfants-beyrouthins des années 80 sont aussi biberonnés au dessin animé Goldorak, ils lisent aussi du Pérec et des bande dessinées...
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Noémie Bellanger vient d'être diplômée du master d'édition de Paris-Nanterre. Éditrice jeunesse en devenir, elle s'est lancée dans un projet ambitieux, un peu fou mais mené avec la ténacité et la passion qui l'animent : 7 lieues & 1 livre ! Durant 8 mois, Noémie part donc en stage dans 7 maisons d'édition jeunesse partout dans le monde. Vous pouvez la suivre sur son site, son Facebook et son Instagram... et sur La Voix du Livre !
Sur le blog, découvrez une interview de Noémie et bientôt des chroniques de livres du monde entier !
Zeina Abirached ! Une super découverte en formation ! Je n'ai lu que "Je me souviens [Beyrouth]" mais j'adore son trait, son humour fin... Mes 3e sont encore insensibles à son charme, mais je ne désespère pas et leur propose des planches tous les ans ah ah !
RépondreSupprimerBon et puis le projet fou de Noémie, j'en ai déjà dit beaucoup de bien :D
Projet fou... c'est le cas de le dire !
SupprimerCourage ! Je ne la connaissais que par un album jeunesse alors j'ai très envie de me plonger dans ses BDs.
Quelle force et quelle modernité dans ses illustrations. Je note et je pense déjà à plusieurs personnes qui seraient envoûtées par ces ouvrages. Quelle belle découverte, j'ai hâte de les lire ! (Je file à la médiathèque la semaine prochaine... Je ne sais pas pourquoi, je sens que ma liste de lectures va bien grossir en ce joli mois de mars !).
RépondreSupprimerOui en découvrant son travail j'étais soufflé ! Je vais vite me procurer ses livres... moi aussi ma liste de lectures a bien grossi ;)
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