31 chambres à soi #24 | Chimamanda Ngozi Adichie par Lydiane Sainton

Un portrait d'autrice par jour écrit par une femme durant le mois international des droits des femmes 
Photographie Chimamnda Ngozi Adichie © Stephen Voss. Redux. REA

À l'occasion du mois international des droits des femmes, 31 femmes d'exception vous proposent de partir durant tout le mois de mars à la rencontre de 31 autres femmes, toutes autrices, aussi talentueuses et impressionnantes que les premières.

Ainsi, chaque jour, pendant un mois, sur La Voix du Livre, découvrez un portrait d'une autrice, française ou étrangère, contemporaine ou historique, de littérature générale, jeunesse, musicale ou illustrée, écrit par une invitée, qu'elle soit autrice elle aussi ou bien illustratrice, blogueuse, chanteuse, dramaturge, comédienne, professeure, youtubeuse...

C'est parti pour un mois d'exploration de 31, voire 62, chambres à soi, ces lieux immanquables de littérature où les femmes trouvent, enfin, leur place.

Jour 24 : Lydiane Sainton présente Chimamanda Ngozi Adichie
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Lorsque l’on m’a proposé de participer au projet « 31 chambres à soi », un nom m’est tout de suite venu à l’esprit pour ne plus jamais le quitter. Compte tenu de mon admiration pour Chimamanda Ngozi Adichie, et de l’importance de son roman Americanah dans ma vie personnelle et de lectrice, parler d’elle était une évidence.


Chimamanda Ngozi Adichie est une autrice nigériane dont vous avez forcément entendu parler si vous vous intéressez au féminisme, notamment depuis son TedTalks We should all be feminist qui a beaucoup fait parler d’elle. Dès lors, elle est devenue l’une des icônes de ce mouvement. Son discours a été retranscrit et publié en livre sous le même titre, traduit en français par Nous sommes tous des féministes (qui une traduction discutable, vous en conviendrez) ; et a également été reprit par Beyoncé (oui, rien que ça) dans sa chanson « Flawless ». Son engagement féministe a d’ailleurs quelque peu pris le pas sur sa carrière littéraire, dont on ne parle parfois pas lors des interviews qu’elle donne, pourtant, en dehors de ce manifeste féministe, elle est l’autrice de trois romans et d’un recueil de nouvelles pour lesquels elle a obtenus plusieurs prix. Ses œuvres ont plusieurs thématiques centrales, mais celle qui revient le plus souvent est celle de la question raciale. C’est notamment le cas avec son roman Americanah dont je vais majoritairement parler, et où la question de l’importance de ses racines est aussi primordiale.

Americanah est un hymne à l'amour, aussi bien de soi-même que de notre culture. Ce roman dépeint sur un ton percutant, mais véridique la condition des immigré·es confronté·es à une culture qui n'est pas la leur, mais aussi la manière dont elles·ils parviennent à s’y accoutumer. Les protagonistes sont face à une quête identitaire perpétuelle : en arrivant aux États-Unis, Ifemelu se rend compte que la couleur de sa peau et ses origines suscitent de nombreux enjeux sociétaux. Confrontée aux préjugés et au racisme, trouver un emploi ou simplement s’intégrer à son nouvel environnement ne seront pas des choses aisées. Ifemelu découvrira également que l'identité raciale ne passe pas que par sa couleur de peau, mais aussi par sa coiffure, car les cheveux afro sont « politisés » en Amérique : les noir·es ne peuvent arborer une coupe afro, des draids, des locs ou des tresses sans être sujet à des préjugés et décrédibilisés professionnellement. Elles·ils sont donc obligé·es de défriser et lisser leurs cheveux pour paraître plus « professionnel·les » comme le montre cet extrait :
« Il faut que je défasse mes tresses pour mes entretiens et que je défrise mes cheveux. Kemi m'a dit qu'il ne fallait pas avoir de tresses pour les entretiens. Sinon, ils pensent que tu n'es pas professionnelle.
- Il n'y a donc pas de médecins avec des tresses en Amérique ?
- Je te répète ce qu'on m'a dit. Tu es dans un pays qui n'est pas le tiens. Agis comme il faut si tu veux réussir. »
Cette acclimatation éloigne peu à peu l’héroïne de ses racines et tout au long du roman, elle est confrontée au fait de vivre en Amérique tout en ayant le choix de s'américaniser pour tenter de mieux s'intégrer, ou bien de rester fidèle à la culture de son pays. Cela passe entre autre par la perte — volontaire ou non — de l’accent nigérian au profit de l'accent américain afin de ne plus être stigmatisée. Prendre l'accent américain est synonyme d’une meilleure intégration, au même titre que l’est le défrisage des cheveux crépus pour avoir plus de chances d'obtenir un emploi. Ces procédés poussent les immigré·es à renier plus ou moins malgré eux leurs racines. Les protagonistes oscillent entre leurs origines et la tentation de devenir américain·e en adoptant les codes culturels propres à ce pays, sans pouvoir pour autant renier totalement leur propre culture comme nous le montre les expressions en igbo qui ponctuent régulièrement le roman.
Americanah nous fait réfléchir sur la question de l'identité, aussi bien collective qu'individuelle. Au fil des années, Ifemelu est en partie devenue une « Americanah ». Seulement en partie, car elle a certes intégré quelques manières américaines, mais elle ne reste pas moins attachée à ses racines, à son pays et à sa culture, au point de vouloir retourner vivre au Nigéria. Ifemelu a changé en quinze années passées loin du Nigéria, mais le pays aussi a changé durant son absence. De nos jours, aux yeux de l'autrice, la patrie ne se limite pas à un seul pays pour beaucoup de nigérians mais à l'endroit où ils se sentaient le plus elles·eux-mêmes ; et pour Ifemelu et Obinze, il s'agit du Nigéria.
Cette quête identitaire perpétuelle donne lieu à de nombreux questionnements chez Ifemelu, qu’elle met en forme sur un blog, où elle aborde sur un ton incisif et sans détour la question raciale aux États-Unis grâce ses questionnements, ses expériences et ses observations à ce propos.

L’une des forces majeures d’Americanah est sa justesse, l’autrice arrive à parler de manière percutante et pertinente de thématiques délicates, qui ont lieu d’être aux États-Unis, mais également en Europe. À ce sens, ce livre restera, selon moi, une référence pour de nombreuses générations. Premièrement, car bon nombre de personnes afro-descendantes se sont reconnues et se reconnaîtront encore dans ce récit. Deuxièmement, parce que Chimamanda Ngozi Adichie nous propose, comme dans ses autres écrits, un personnage féminin noir, qui connaît et vit les mêmes expériences et épreuves que certaines de ses lectrices.

Le paysage littéraire a besoin que l’on aborde les thématiques raciales, d’immigration, d’identités individuelles et collectives, et des personnages directement touchés par ces thèmes. C’est le cas dans Americanah, mais aussi dans le reste de l’œuvre de Chimamanda Ngozi Adichie, et à ce titre elle méritait sa place dans le projet 31 chambres à soi.

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Lydiane Sainton est étudiante en édition et en littérature de jeunesse. Elle est aussi bookstagrammeuse et blogueuse.

Commentaires

  1. Oh mais j'ai rencontré Lydia à un rdv du club de lecture "Une Chambre à soi" :D elle portait d'ailleurs un tee-shirt "we should all be feminist".
    J'attendais Chimamanda avec impatience (c'est la première autrice à laquelle j'ai pensé !). Je viens de finir "L'autre Moitié du soleil" qui est tout aussi fort qu'Americanah, même si j'ai préfère ce dernier.
    Bref, comme dirait Iris : the QUEEN !

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    1. Yes tout à fait d'accord avec toi même s'il faut encore que je finisse Americanah !!!

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  2. Une pépite cette femme :) Bel article !

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