31 chambres à soi #13 | Marguerite Duras et Leïla Slimani par Florence Viala

Un portrait d'autrice par jour écrit par une femme durant le mois international des droits des femmes 
Photographie Florence Viala © Stéphane Lavoué

À l'occasion du mois international des droits des femmes, 31 femmes d'exception vous proposent de partir durant tout le mois de mars à la rencontre de 31 autres femmes, toutes autrices, aussi talentueuses et impressionnantes que les premières.

Ainsi, chaque jour, pendant un mois, sur La Voix du Livre, découvrez un portrait d'une autrice, française ou étrangère, contemporaine ou historique, de littérature générale, jeunesse, musicale ou illustrée, écrit par une invitée, qu'elle soit autrice elle aussi ou bien illustratrice, blogueuse, chanteuse, dramaturge, comédienne, professeure, youtubeuse...

C'est parti pour un mois d'exploration de 31, voire 62, chambres à soi, ces lieux immanquables de littérature où les femmes trouvent, enfin, leur place.

Jour 13 : Florence Viala présente Marguerite Duras et Leïla Slimani
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J’avais envie de vous parler de Chanson douce de Leïla Slimani et de La vie matérielle de Marguerite Duras, deux textes sur l’infiniment petit.

Chanson douce raconte l’assassinat de deux enfants par leur nounou. Dans un milieu bobo parisien, Leïla Slimani détaille au scalpel tous les personnages avec une minutie diabolique et tisse ainsi de détails en détails une situation bientôt anxiogène et irréversible. Dans La vie matérielle, Duras, comme pour un journal intime, une chronique de la vie quotidienne s’attarde sur la mort d’une mouche ou sur une liste de courses, des articles de journaux ou des faits divers.

En tant que comédienne à la Comédie Française je suis souvent confrontée à des grands sentiments. ou de grands mythes : Racine, Corneille, Marivaux, Molière, Eurypide, Tchekhov… Mais souvent les grands mythes sont issus aussi de détails infimes ; là, d’un seul coup ces deux femmes qui parlent de l’infiniment petit, qui racontent apparemment de toutes petites choses, racontent ce qui prépare aux grands mythes aux grands sentiments. Elle font ce que nous actrices cherchons souvent en répétitions, comme des archéologues, des scientifiques : les « Pourquoi? », les « D’où ça part? », qu’est ce qui fait que Médée tue ses enfants ? ce n’est pas un seul chagrin d’amour ? c’est souvent par les détails qu’on trouve, comme un inspecteur de police.

Dans La vie matérielle il y a un chapitre intitulé « Le coupeur d’eau », un article qu’a lu Duras dans les faits divers : un homme qui est allé couper l’eau chez une famille très pauvre parce que celle-ci ne payait plus. C’est un été très chaud, la dame a deux petits enfants, elle ne s’est pas défendue, elle n’a rien dit, l’homme est venu couper l’eau et elle n’a rien dit, il voyait bien les enfants, il voyait bien qu’il faisait chaud. Elle n’a rien dit parce qu’elle a dû penser que de toute façon ça ne servirait à rien. Ce n’était pas la peine de le dire. Elle est partie avec ses deux enfants et avec eux s’est couchée sur les rails et a attendu le train ;

Ce silence… Marguerite Duras parle du silence de cette femme, elle le rapproche du silence des femmes en général. Elle parle de la violence de ce silence : « Il y a une conduite instinctive qu’on peut essayer d’explorer, qu’on peut rendre au silence. Rendre au silence une conduite masculine est beaucoup plus difficile, beaucoup plus faux, parce que les hommes, ce n’est pas le silence. Dans les temps anciens, dans les temps reculés, depuis des millénaires, le silence, c’est les femmes. Donc la littérature c’est les femmes. Dit Duras. Qu’on y parle d’elles ou qu’elles la fassent, c’est elles. » J’aime beaucoup ce lien entre silence des femmes et la littérature. Le silence de Louise la nounou de Slimani, le silence de Médée quand elle passe à l’acte…

Dans le texte de Leïla Slimani, Louise va continuer à subir des petites humiliations au fur et à mesure de sa vie jusqu’à rejoindre le mythe de Médée — comme dans « Le coupeur d’eau ». Ces deux femmes, Louise et la maman dans « Le coupeur d’eau », rejoignent ainsi la grande histoire en passant par une toute petite porte.

Mon métier de comédienne anthropologue des grands mythes, des grandes histoires d’amour, des grands drames et des grandes tragédies rejoint alors celui de Marguerite Duras et Leïla Slimani dans l’approche de cet infiniment petit.

Ces romans sont aussi pour moi le lien entre ma vie de femme, de mère confrontée au quotidien le matin et aux grands textes le soir. Ils sont comme un pont entre ce que je suis et ce que je joue. Ils rapprochent cette femme dans la détresse sociale — Médée, Marguerite, Louise, Leïla — et Florence.
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Florence Viala a été formée au Conservatoire national supérieur d'art dramatique dans les classes de Catherine Hiegel et Daniel Mesguich. Entrée à la Comédie-Française en 1994, elle est devenue la 503e sociétaire en 2000. Elle a participé à plusieurs projets en dehors de la Comédie-Française et a également tourné dans différents films.

Commentaires

  1. Un article fin et tout en délicatesse, qui donne très envie de découvrir ces 2 textes. Merci :)

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  2. Très chouette article, je trouve ça trop cool de trouver une comédienne, tu te doutes bien !
    Etant donné que je suis dans une sacrée période sur Médée, "Chanson douce" me fait très envie, tu te doutes bien (ma Médée à moi cherche le silence en revanche...)
    Vivement demain :)

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    1. Et tu te doutes bien que je me doutais bien et tu te doutes bien que moi aussi très heureux d'accueillir une comédienne ;)
      Merci de ton commentaire et de prolonger ce si beau texte.

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    2. Hum. Je viens de voir les trop nombreux "tu te doutes bien" x)

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