« Le monde ne lui avait jamais paru aussi beau que depuis qu’elle avait compris qu’il était en train de disparaître. » | Sirius, de Stéphane Servant

Le retour tant attendu de Stéphane Servant avec un roman de post-apocalyptique sublime, sauvage, grandiose

Stéphane Servant m’avait bouleversé dans La Langue des bêtes qui disait « avec une immense tristesse et une touchante insouciance, le changement le plus invisible et ravageur qui soit : la fin de l'enfance couplée à celle des histoires. À travers l’histoire de Petite, il raconte, de manière bouleversante, pourquoi les histoires nous font naître, nous font vivre et nous animent. » Grâce à ce conte onirique, entre réalité et pure fiction, il construisait une histoire tendre et triste à la fois mais surtout grandement intime, où l’on plongeait de manière presque physique dans l’histoire et la psyché de Petite. Avec Sirius, Stéphane Servant ressort un peu de cette littérature de l’intime et propose, de manière plus accessible sans doute, un conte, une nouvelle fois, qui parle avant tout de notre monde et de notre rapport à celui-ci.


NB :
- Les extraits qui coupent la chronique sont issus du livre ;
- Les citations en italique qui parcourent le texte sont issus d'une interview du Rouergue avec Stéphane Servant, proposée dans le communiqué de presse du livre.

Perchés dans une cabane dans un arbre, Avril essaye de faire de Kid « un vrai petit homme » en lui apprenant à bien se tenir, à lire, à écrire… Bientôt, rattrapés par le passé tout récent encore de ce monde en ruines, et par celui douloureux et mystérieux d’Avril, les deux frère et sœur vont être obligés de partir, jetés sur les routes, en fuyards. Mais quand ils font la rencontre d’un petit porcelet noir, et bientôt d’autres animaux, leur quête prend une toute autre épaisseur. Et si ce monde qu’ils croyaient perdu, stérile et presque mort, pulsait encore, quelque part, derrière la forêt ? Et s’ils devaient bien répondre à l’appel de La Montagne ?
Je suis vous.
Et vous êtes moi.
Comme si on partageait le même Livre vivant.
Mon corps, il bouge pas. Avec toute la douleur dedans, partout.
Mais je sens que vous sentez, je touche ce que vous touchez, j’entends ce que vous entendez, je vois ce que vous voyez.
Et on regarde le même ciel.
Et je sais que je suis pas mort.
Ou que je suis né de nouveau.
Je suis vivant !
[…]
On est des étoiles.
Différents mais pareils.
On est des morceaux de quelque chose de plus grand.
Une Constellation.
La Constellation.
La Constellation ?
C’est comme ça que ça s’appelle ?
Ce mot, je l’ai jamais entendu mais pourtant, je le connais.
Et J’entends le tambour.
Le tambour des étoiles.
Le même tambour dans nos ventres.
Stéphane Servant s’essaye avec Sirius au genre vastement exploré, notamment par le cinéma, du post-apocalyptique. « J’avais envie d’apporter ma petite pierre à ce genre littéraire qui permet d’interroger très directement le présent ». En réalité, Stéphane Servant excelle dans ce genre sans y perdre sa patte, onirique, comme un conte. N'était-ce pas une évidence qu’un auteur au style si musical et sonore imagine un monde semblable au nôtre qui se détruise peu à peu et revienne à quelque chose d’ancestral, aussi ancestral que la tradition orale du conte ? 

Dans ce genre littéraire si particulier, Stéphane Servant s’essaye ainsi à un rythme plus intense (c’est ce qui rend le roman plus accessible) et sème le chemin aventureux des deux héros d’embûches, mais aussi de rencontres, de soutiens, d’aides. C’est addictif, angoissant parfois, voire bercé d’horreurs, mais cela nous amène irrémédiablement, et avec beaucoup de justesse, à penser à notre monde.

« Je ponctue mon roman d’interrogations : Quand le monde finit-il vraiment ? Si nous devions sauver une seule chose, quelle serait-elle ? La fin du monde va-t-elle de pair avec la fin de l’humanité ? Ou bien est-ce seulement une remise à zéro ? Un recommencement ? »

On perd toujours tout, il ne restera rien de nous.
Stéphane Servant raconte donc beaucoup de choses de notre monde à travers ce futur catastrophique qui pourrait être le nôtre. Il nous fait réfléchir à notre rapport aux autres, au monde, à l’Histoire et ce qu’elle nous apprend de nous-mêmes, à la religion également, réponse peut-être consolatrice pour ceux qui, perdus, se retrouvent démunis. Il parle d’endoctrinement, d’exil, de migration… « Sirius me permet de parler de sujets très contemporains, et entre autres de l’exil. Dans un monde où tout s’écroule, mes personnages sont pareils à des réfugiés. Bien souvent, ils ne savent pas où ils dormiront le soir même. Ils ne savent pas si on leur donnera la chasse, si on leur fermera la porte au nez, ou si leur route s’arrêtera au pied d’un mur. Dans ce monde, les poings fermés sont plus nombreux que les mains tendues. »
« Tant que nous sommes vivants, le monde n’est pas mort. »
Pourtant, Stéphane Servant ne propose pas un roman dur, plombant et effrayant. Il ne promet pas au lecteur une fin prochaine, douloureuse et irrémédiable, de son monde. Comme je le disais ci-dessus, il l’interroge, mais malgré tout, il lui donne aussi un peu d’espoir.

Cet espoir, il le propose dans la beauté de notre monde et de sa sauvagerie. Oui, il met en évidence la sauvagerie du monde, mais une sauvagerie belle, fascinante ; en un mot sublime, dans son sens premier : qui repousse et attire à la fois.

À travers cette peur de l’autre, des catastrophes, de l’horreur humaine et de notre part sauvage, il raconte que si « La Terre se meurt, c’est terrifiant, mais aussi sublime. Car c’est peut-être quand on sait que l’on va perdre quelque chose qu’on le redécouvre, qu’on le regarde avec un œil neuf. Et si, finalement, l’extinction progressive du vivant révélait l’infinie poésie de ce monde si fragile ? » Peut-être que, comme Timothée de Fombelle le dit dans Neverland, Stéphane Servant nous propose « une beauté qui console » ?
« Le monde ne lui avait jamais paru aussi beau que depuis qu’elle avait compris qu’il était en train de disparaître. »
Pourtant, avec cette sauvagerie, horrible et belle — sublime —, de l’homme, l’écrivain interroge aussi le lecteur sur la part animale qui le compose. « Quand tout aura disparu, que restera-t-il des hommes ? Une fois dépouillés de tout, qui sommes-nous vraiment ? Sommes-nous différents des animaux que nous traitions autrefois comme des inférieurs ? »

Avec Sirius, Stéphane Servant a remué une part de moi qui ne demandait qu'à être bousculée et que j'espère réussir à garder éveillée : cette part lumineuse et mystérieuse qui communique avec tout ce qu'il se passe autour de moi, dans la nature et dans les profondeurs de la conscience animale. Il ramène l’homme à son animalité et fait réfléchir le lecteur à son rapport aux animaux, à la nature. En posant, comme une évidence, ce lien inaliénable entre la nature et nous, il nous fait nous interroger sur ce lien, sans sentence, et nous fait retourner à la nature pour réveiller cette part de soi peut-être plus essentielle que n’importe laquelle des autres parts qui nous composent. C’est avec une grande poésie, beaucoup d’empathie et un personnage d’enfant (sauvage ?) incroyablement juste, touchant et nuancé, que Stéphane Servant réussit cette prouesse littéraire que je n’avais jamais lue ailleurs jusque-là.

« Les animaux sont le révélateur de la nature humaine, dans toutes ses contradictions. Des hommes, ils mettent en lumières les peurs, les espoirs, la solitude, l’aliénation, les failles, les rêves et les cauchemars. Ils bousculent leurs certitudes, les poussent dans leurs retranchements, font tomber les masques. »
« Elle est là, la vraie fin du monde, Avril. Sans amour, le monde est un désert. »
Finalement, c’est en interrogeant ce lien intime et intérieur avec le monde, ce lien évident à la nature et aux animaux, que Stéphane Servant ramène le roman à une forme d’introspection intime et touchante. Il montre, de façon très tendre, l’animalité innocente de l’enfance et, à travers des personnages attachants et construits avec finesse, il se demande une nouvelle fois ce que c’est de grandir.

Dans toute la douceur des relations que tissent les personnages et à travers ces réflexions qui passent, non pas par de grands discours, mais par les ressentis de ces personnages, Stéphane Servant ne peut s’empêcher de creuser au plus profond des protagonistes pour y chercher quelque chose d’universel, d’humain, de bouleversant.
« Tu sais d’où vient la tristesse, Avril ? Elle vient des silences, pas des mots. »
Stéphane Servant fait donc honneur avec Sirius à son œuvre littéraire qui ne cesse d’être plus surprenante et singulière à chaque livre. Ce nouveau roman est grandiose par l’alliage parfait qu’il forge entre forme et fond. Le genre littéraire est maîtrisé avec perfection — Stéphane Servant proposant un roman rythmé et haletant, sans oublier son style introspectif et poétique — pour poser, sans ton sentencieux, mais avec beaucoup de douceur et un style remuant, ébranlant, beaucoup de questions sur notre monde. C’est une ode au renouveau, dans une sauvagerie sublime, qu’il apporte à travers un roman où la forme est réfléchie jusqu’aux chapitres, numérotés à l’envers, comme un compte à rebours qui emmène peut-être vers la fin, peut-être vers une renaissance.

Ce grand écrivain, dans Sirius (roman immanquable de la rentrée littéraire et de la littérature tout court), interroge notre monde jusqu’à sa littérature, et se demande ce qu’elle y apporte.

« Après les attentats de novembre 2015, je me suis beaucoup interrogé sur mon métier. J’écris pour la jeunesse, car je crois, un peu naïvement sans doute, au pouvoir émancipateur de la littérature. Et pourtant, des jeunes gens ont assassiné leurs semblables, au nom d’une idéologie mortifère. Des jeunes gens qui sans doute avaient été bercés par nos livres. Alors à quoi servent les histoires ? »

Sirius propose ainsi, à travers la question de notre animalité et celle de notre rapport à la sauvagerie du monde, cette réflexion, bouleversante et fascinante : la littérature nous sauverait-elle en nous rappelant qui nous sommes ?
« C’est comme ça que je survis. Sans les histoires, je serais mort aujourd’hui. »



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Alors que le monde se meurt, Avril, une jeune fille, tente tant bien que mal d'élever Kid. Entre leurs expéditions pour trouver de la nourriture et les leçons données au petit garçon, le temps s'écoule doucement... jusqu'au jour où le mystérieux passé d'Avril les jette brutalement sur la route. Il leur faut maintenant survivre sur une terre stérile pleine de dangers. Stéphane Servant, avec tout son talent de conteur, nous plonge dans un univers post-apocalyptique aussi fascinant que vénéneux. Une lecture addictive !

De Stéphane Servant
Éditions Le Rouergue, collection Épik
480 pages
16,50 €

Commentaires

  1. ta chronique est magnifique et les extraits que tu partages du roman me parlent beaucoup et me font très envie. Je vais malheureusement manquer de temps et d'argent dès la rentrée donc ça va être assez dur de me le procurer et d'en faire la lecture, mais il me parle beaucoup et il me le faut dans ma bibliothèque, ça a l'air tellement merveilleux !

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    1. Merci beaucoup Naomi ! J'espère de tout cœur que tu trouveras un moyen de le lire... Un.e ami.e ? une bibliothèque ? le CDI... ?
      Bonne lecture ♥

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  2. Tout à fait d'accord avec toi.
    Ce qui m'a le plus plu et marqué c'est cette manière de parler de l'actualité avec beaucoup de poésie (les Étoiles noires, la scène à la Ville avec le mur...). On prend toutes ces visions en pleines faces, puisque la fiction nous met de force dans la peau de l'autre (la jeune fille noire, l'orphelin, ou l'exilé).
    Un grand plus pour les variations de narrations, quand on passe dans le point de vue de Kid (où la poésie est la plus forte.)
    Bref, très envie de l'acheter en papier et première commande au CDI la semaine pro :)

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    1. Oui, achète-le et fais-le lire à TOUT LE MONDE !!!
      Oui, tu fais bien d'ajouter tous ces éléments à ma chronique (j'adore les commentaires quand ils complètent et disent ce que je n'ai pas dit). Je suis tout à fait d'accord avec toi : il y a une grande sensibilité dans son écriture qui fait qu'on s'identifie en effet beaucoup. Et le changement de narration est super, en effet.

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  3. Bon et bien j'ai définitivement envie de lire ce livre, grâce à ta chronique !
    C'est presque illusoire de tenter de nommer cette part sombre de notre être qui nous rattache, de manière plus ou moins forte, aux éléments qui nous entourent, à la nature, au ciel, au vent, à la nuit, au monde.
    Depuis très longtemps, je me rêve dans une autre part du monde où tout serait resté dans cet état primitif qui garde les sens éveillés, la conscience claire, et où il y a peu de gouffres, ceux dans lesquels on se perd trop souvent au sein de ce monde agité, impatient et aveugle.
    Je lirai Sirius, maintenant c'est sûr, en espérant y trouver un écho à mes divagations. Merci de m'avoir convaincue !

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  4. Oui et cette part est aussi celle liée de manière intime au reste et notamment à la faune...
    Vu ce que tu me dis, c'est SÛR que tu vas aimer. Alors je me fais et bonne lecture, merci à toi !

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