J'ai avalé un arc-en-ciel, Erwan Ji

Cher lecteur-trice,
Je ne m’adresse pas souvent à toi, et pourtant, tu me lis tous les jours. C’est quand même dingue de s’en rendre compte maintenant seulement, tu ne crois pas ? Si je le fais aujourd’hui, c’est pour te parler d’un livre qui me tient à cœur – du genre, vraiment à cœur.
Tu sais, il y a deux ans, dans le cadre de mes études, j’ai fait un stage en maison d’édition. Aux éditions Nathan Jeunesse, en fait. C’était un moment assez magique et surtout extrêmement formateur pour le futur éditeur que j’espère être.
Parmi les missions qui m’incombaient, j’étais notamment en charge de lire tout un tas de manuscrits qui arrivaient tous les jours par La Poste. Le mythe n’est pas complètement faux : les maisons d’éditions reçoivent bien tout un tas de manuscrits qu’il faut éplucher, lire, refuser ou garder. Mais on l’apprend très vite en édition : de bons manuscrits qui arrivent par La Poste, il y en a peu, très peu.
Et puis, il y a des livres comme J’ai avalé un arc-en-ciel. En fait, il y a deux ans, il ne s’appelait pas exactement comme ça. Mais pour ce qui est du contenu, il était quasiment le même : c’était déjà un sans-faute.

« C’est un drôle de mot, blog. Pendant longtemps, j’ai cru que c’était le nom d’une nourriture. Si mon grand-père s’était demandé ce que ça voulait dire, il se serait mouillé le doigt et aurait tourné les pages de son épais dictionnaire. Moi, j’ai tapé le mot sur Google. C’est ça, le progrès. On n’a plus besoin de se mouiller le doigt. »

J’ai avalé un arc-en-ciel, c’est l’histoire de Puce, une jeune franco-américaine, qui raconte sur un blog sa dernière année dans son école préparatoire privée du Delaware, aux USA. Elle raconte à ses lecteurs français – nous, of course – son quotidien, le fonctionnement et la vie (très particulière !) de son lycée qu’elle scrute d’un œil vif et humoristique. C’est sa dernière année dans son lycée, celle des adieux, des dernières fois, des peurs et des doutes. Mais c’est aussi celle de nouveaux amours, de grandes joies, de premières fois et de nouveaux horizons !

« Je veux parler de ma vie, mais aussi de la vie. Parce que ce qui compte quand on navigue, ce n’est pas le bateau. C’est l’océan, l’équipage, et les étoiles au-dessus de nos têtes. »

Je crois que cette phrase te résume plutôt bien ce roman. Puce, sur son blog qu’elle nous adresse, parle de sa vie et de tout ce qui la traverse. Mais contrairement au nombre incalculable de romans qui paraissent dans lequel un-e adolescent-e parle de sa vie et de tout ce qui la traverse, l’héroïne de celui-ci a exactement le bon ton : c’est vif, enlevé, cocasse et ça touche droit au cœur.

« Les voisins ont adopté un chat le mois dernier. On leur a demandé si c’était un chat nain, mais ils ont eu l’air surpris. Je pense qu’il est possible que Sacrebleu ait un problème de poids. »

Ce ton à nul autre pareil (ou peut-être peut-on le rapprocher, sans grossier marketing, de celui de John Green) suffit à faire de ce roman un petit chef d’œuvre de littérature pour adolescents. Il a dans sa vivacité et dans son humour quelque chose de très vrai, sans artifice, parfaitement juste.
Je crois que c’est aussi ce qui participe à nous rendre Puce si proche. Outre son regard décomplexé et piquant, c’est son ouverture aux autres qui nous touche particulièrement. La mise en abîme du blog qu’elle nous adresse à nous, français découvrant sa vie américaine, finit de nous rapprocher de l’héroïne et permet en même temps d’aborder un choc des cultures passionnant – et toujours avec ce regard décalé sur la réalité.
L’identification est ainsi forte, poussée par les nombreuses références qui ne seront pas sans te rappeler ce que tu peux toi-même lire / voir / écouter. Tout est toujours très vrai, jusqu’à l’analyse pointilleuse de la ponctuation des SMS ou les réflexions sur la procrastination (que celui qui ne procrastine jamais lève la main ?).
Les personnages dans leur ensemble sont attachants, très bien caractérisés et d’une grande richesse. Tu te délecteras, je pense, des rondeurs de Soupe, du regard sans lunette de Sara et de la classe – t’es jaloux-se ? – de Vaneck. On pourrait regretter quelques stéréotypes, mais l’auteur les questionne tout au long du roman et les envoie balader avec le regard très juste et l’ironie de Puce.

« Il faut savoir que quand on m’appelle Puce, mes parents le prononcent bien parce qu’ils parlent français, mais comme le son “u” n’existe pas dans l’alphabet américain, la plupart de mes amis m’appellent “Pouce”. Résultat des courses, quand je n’ai pas un nom de plante ou un nom de bestiole qui gratte, j’ai un nom de doigt. »

Cette sensation de « vrai », de sincérité qui traverse le roman, on la ressent aussi grâce à l’école qui a une grande importance dans le roman. Ce décor, riche et largement documenté, est un personnage à part entière qu’on découvre dans ses reliefs, ses interstices, et dans tout ce que ce lieu construit dans la vie de Puce et des autres. En fait, il faut imaginer que c’est comme ta maison : tu y vis longtemps, tu y forges tout un tas de souvenirs, et tu finis par la quitter, sans tristesse, juste avec un peu de nostalgie.

C’est grâce à cette humanité et à cette sensibilité qu’Erwan Ji, à travers le personnage de Puce, arrive à traiter avec une si grande finesse de thèmes essentiels.
En fait, je vais te dire la vérité : J’ai avalé un arc-en-ciel est le roman que j’aimerais mettre entre les mains de tous les adolescents. Il y traite tour à tour de tout ce qui peut les traverser sans jamais tomber ni dans le pathos ni dans l’excès d’humour. Tout est parfaitement dosé, entre anecdotes et réflexions, entre tragique et dérision. Un peu comme la vie, mais avec une odeur d’encre et de papier.

« Je dis toujours que chacun fait ce qu’il veut, tant qu’il n’embête pas les autres. Si ça plaît aux gens de croire en Dieu, moi ça ne me dérange pas. Mais à mon avis, c’est juste un truc qu’on a inventé pour aider à faire passer l’arrière-goût amer de la vie. Quand ma mère veut me faire manger des endives, elle les enroule dans du jambon, puis de la crème, puis de la sauce béchamel, et elle met tout ça au four saupoudré de fromage. Les endives, c’est la vie. Le reste, c’est la religion. »

Erwan Ji fait donc parler son héroïne d’amitié, d’internet, de religion, de relations aux autres, de traditions, de son décalage culturel qu’elle évoque sans cesse avec beaucoup d’humour et de ce que c’est de grandir. Erwan Ji aborde aussi avec une grande intelligence (SPOILER, cher ami-e) le thème – très difficile à traiter – de l’orientation sexuelle. Si Puce est déjà sorti avec des garçons, c’est avec une grande surprise qu’elle découvre au fur et à mesure de l’année que c’est de son amie Aiden qu’elle tombe peu à peu amoureuse. Mais loin d’en faire un roman à thème, Erwan Ji propose une vision totalement banalisée et apaisante des difficultés des étiquettes de bisexualité ou d’homosexualité. En fait, ce n’est pas d’orientation sexuelle dont Erwan Ji parle, mais bien d’amour. Il parle ainsi de tous les doutes que ça peut engendrer, quand on tombe amoureux-se d’un-e de ses ami-es, comme de toutes les difficultés qui peuvent arriver quand on fait autre chose de ce que tout le monde attend de nous. (FIN DU SPOILER, l’ami-e, respire va.)
Finalement, c’est avec une grande délicatesse, beaucoup d’humour et sans trop de complexes, que Puce bouscule ce qui rend ta vie compliquée en l’aplanissant dans toute sa simplicité. C’est son regard décalé et (toujours) un peu naïf qui participe à cet humour simple mais carrément efficace. Tu peux d’ailleurs surligner tout un tas de punchlines dans ce livre :

  • « L’amour et l’amitié sont comme les braquages de banque : tout peut changer très vite. »
  • « Si tu essaies de me violer, je dis à tout le monde que tu as peur des guêpes. »

À travers une intrigue très bien construite, un décor riche et avec un ton jamais faux et toujours plein d’empathie, Capucine t’emportera donc dans sa drôle de vie de française made in America. J’ai avalé un arc-en-ciel est un roman hilarant, tendre et vibrant de justesse, où la sincérité du ton se dispute à l’humour de l’héroïne. Jusqu’à la fin (où tu sortiras ton mouchoir), tu grandiras un peu avec cette Puce extra-française et te retrouveras (peut-être ?) dans ces personnages qui construisent un portrait fin et généreux d’une jeunesse pleine de reliefs. Avec la générosité des thèmes abordés et l’intelligence de l’écriture, J’ai avalé un arc-en-ciel est, sans aucun doute, le roman immanquable pour comprendre l’adolescence et ce passage vers l’âge adulte déchirant, mais surtout drôle, vivant, excitant… et dérisoire !

Bonne lecture,
(Et n’oublie pas de me répondre.)
Tom

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Cette année, il m’est arrivé un truc phénoménal. Retournement de vie, frisson géant, secousse cosmique...
Je m’appelle Capucine, mais on m’appelle Puce. J’ai dix-sept ans, la peau mate et un accent de Montpellier. Enfin, l’accent, c’est quand je parle français. Je vis aux États-Unis depuis que j’ai trois ans.
Cette année, il m’est arrivé un truc phénoménal. Retournement de vie, frisson géant, secousse cosmique...
Vous appelez ça comme vous voulez, mais la vérité...c'est que j'ai avalé un arc-en-ciel.


Éditions Nathan Jeunesse
336 pages
16,95 €

Commentaires

  1. Juste : ♥ (tu sais tout le bien que j'en pense)

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  2. Tom,
    Encore une fois, je vais te dire que ta chronique est superbe. Tant la forme que le contenu, même si le contenu est plus intéressant, j'avoue.
    Ce roman a l'air fantastique, je l'ai vu plusieurs fois sur Instagram ou Facebook mais ce bel avis complet me donne une seule envie : me ruer en librairie. Sauf que j'ai pas d'argent. Petit problème.
    A bientôt (?)
    Juliette

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    1. Juliette,
      Merci beaucoup !
      Je suis désolé, je ne fournis pas l'argent avec la chronique hahahaha ! :)
      À très vite j'espère !
      Tom

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    2. Rhooo c'est dommage je croyais x)
      Oui j'espère! (on garde espoir)

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  3. Un jour j'arriverais à faire d'aussi belles chroniques (on y croit...) Chapeau bas !
    Si je n'avais déjà pas mortellement envie de découvrir ce roman, tu m'aurais convaincue sans peine ;)

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    1. Bien sûr que oui ! Et chacun son style, il ne faut pas trop se comparer (un peu, toujours, pour se donner un coup de jus ! Je fais ça tout le temps aussi si ça peut te rassurer !)
      Merci beaucoup et bonne lecture !! N'hésite pas à venir en reparler après !

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  4. C'est toujours un plaisir de passer sur ton blog et de lire d'aussi beaux avis ! Ce livre a l'air merveilleux, tu fais tout pour qu'on ait envie de le lire en tout cas ;)

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    1. Merci beaucoup, ça me touche beaucoup !
      Je suis ravi de te donner envie, c'est vraiment un livre génial, que je conseillerais à beaucoup de gens, et qui m'a touché très personnellement. Il y a quelque chose d'assez unique avec ce texte... ♥

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  5. Très belle chronique. Je l'ai feuilleté en librairie et il me tentait pas mal (rien que sa couverture très décalée intrigue)
    Merci pour l'avis !

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    1. Merci à toi pour ton commentaire ! J'espère que tu vas le lire... Tiens moi au courant !

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  6. Oh, d'accord. Si tu me le demande comme ça, et puis si bien présenté, évidemment que je vais le lire ce roman !
    (Et je l'avoue, toute cette histoire d'arc-en-ciel, ça m'intrigue beaucoup)

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  7. Oh, d'accord. Si tu me le demande comme ça, et puis si bien présenté, évidemment que je vais le lire ce roman !
    (En plus je l'avoue, cette histoire d'arc-en-ciel m'intrigue beaucoup)

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    1. Merci, bonne lecture ! Viens vite en reparler ensuite ;)

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  8. Ce roman m'intrigue beaucoup en ce moment, je crois que je vais me laisser tenter haha ! ;)

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    1. GÉNIAL !! Merci de ta confiance :) Reviens me dire ton avis après ça ?

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    2. Je n'y manquerais pas, il faut déjà que j'écoule un peu ma pal haha #problème de lecteur :')

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    3. Je comprends, hahahaha

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  9. J'ai lu ce livre et ta chronique est vraiment fidèle à cette histoire merveilleuse qui m'a beaucoup touchée et fait comprendre certaines choses! C'est la première fois que je commente tes chroniques mais il faut savoir que je jette toujours un oeil sur ton blog et que cet oeil là est toujours très content d'être venu!

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    1. MERCI pour ce commentaire chou-adorable.
      Ça met du baume au cœur.
      Et je suis très heureux que ce livre t'ait plu.

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  10. Je serais curieuse de savoir comment s'appelait ce roman initialement... :)
    En tout cas, c'était une jolie découverte de mon côté également !

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    1. Ta mission... le deviner ? ;)
      Super j'adore découvrir de nouveaux cœurs conquis !! ♥

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    2. Haha ben c'est pas gagné, là ^^"
      J'me dis que y'avait peut-être pas d'arc-en-ciel dedans, au départ...

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    3. Je voulais dire qu'il n'y avait pas d'arc-en-ciel dans le titre ;)

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    4. Héhé ;) Alors je me dis que c'était peut-être quelque chose d'un peu plus "terre à terre", du style "Le blog de Puce" (bon, là, c'est vraiment terre à terre, mais tu vois l'idée...).

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  11. Haha je suis plutôt forte à ce jeu-là finalement ! ;)

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    1. Tu y es presque oui ;)

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    2. Bon, je vais peut-être m'arrêter là parce que ça peut durer longtemps mais - si tu en as la possibilité - j'aimerais bien avoir la réponse... :)

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