Solange me parle

Ce livre nous rappelle pourquoi on aime Solange : de l’esprit, de l’impertinence, et une grande humanité.
Solange me parle en vidéo. Elle est là, comme cette petite voix qu’on a dans nos têtes. Parfois elle dérange, mais souvent elle fait du bien.
Mais maintenant, Solange m’écrit. Là, ressortent ces mots qui sont « comme du coton », dirait Fauve, ou qui parfois heurtent bien là où il faut.
Dans tous les cas, Solange te parle, me parle. À travers son livre, on la (re)découvre. C’est délicieux d’avoir quelqu’un qui s’intéresse à toi, même la plus grande des petites voix dans ta tête. « C’est avec un grand intérêt que nous avons appris que vous existiez » dit-elle avoir reçu, un jour, de « quelqu’un d’important ». C’est un peu que tu ressens si tu l’écoutes : tu as ta place aussi.

Solange, elle parle d’elle, elle se montre totalement, se met à nu (dans tous les sens du terme). Mais à travers elle on se voit, elle dit « tu », elle me parle. C’est ça la communication ? c’est ce qu’elle interroge à plusieurs reprises dans ses vidéos et encore plus dans ce livre. Par exemple, elle essaye de faire une vidéo sans contenu, et me pousse à écouter le silence. Le vide. À ne rien faire. Ne penser à rien. Finalement elle m’interroge : c’est quoi ne rien faire ? c’est quoi ne penser à rien ? comment faire pour vivre le rien, le vide ?
Voilà comment on fonctionne avec Solange. Je me sens bien comme ça.

Car c’est ça que j’aime, avant tout, chez Solange, elle a toujours quelque chose à dire. Moi je l’écoute. Elle est perturbatrice, agitée, et en même temps calme et espiègle. On ne peut s’empêcher de se reconnaître dans ce personnage cassé, à l’épreuve de la vie.

Parce que oui, Solange, on la sent un peu cassée.
Des fois ça rend triste. Mais souvent je me sens moins seul.



En témoin éprouvée d’une société difficile, elle réussit pourtant à en parler avec une habileté tendre et intelligente. Solange ne sait peut-être pas se montrer comme tout le monde le voudrait, se mettre en valeur, faire d’elle une icône, mais elle sait communiquer.

Sa douceur fait surgir la réflexion.
Sa finesse pique, râpe, caresse.
Avec ce personnage en marge, cette jeune femme qui prône la solitude, le retour à la nudité, la vie avec des navets ou dans les toilettes, on a envie d’espérer autre chose.



Solange, je la retrouve dans ce livre. Et en même temps ce n’est pas elle. Le voile des mots enlève l’épaisseur toute particulière de sa voix, la douceur rauque qui flanche de ses intonations. Solange, je préfère la regarder et l’écouter plutôt que la lire.
Solange, je n’ai pas tout bien compris pourquoi elle a fait ce livre.
En fait, tu la (re)découvres (autrement), mais ce livre reste peut-être plus un objet de collection ou un support de réflexion qu’une œuvre à part entière. Il permet d’élargir son public, peut-être que grâce à ce livre plein de nouvelles personnes écouteront Solange leur parler. Et ça c’est bien, parce que quand Solange te parle, tu crois que les choses peuvent aller mieux.

En effet, elle parle d’une génération qui veut casser des barrières trop présentes. Avec ses gestes tantôt doux tantôt secs, elle te fait un peu danser quand tu la regardes. C’est la danse simple d’un corps qui ose s’exprimer, le port d’une voix qui t’incite à faire de même. Solange est une perturbatrice douce et affirmée qui se cantonne aussi à sa vie tranquille. Alors pourquoi on la regarde ? Parce qu’elle nous parle, parce que sans nous elle n’existe plus, or on a besoin d’elle pour dire les choses qu’on n’arrive pas à dire (je t’aime ?), ou qu’on n’ose pas dire aussi.



Solange aime la non-vie, comme celle de Jérémie, un no-life cassé par la vie lui aussi. Cette vidéo retranscrit un trait de vie, un art incompris d’être au monde, une manière de faire qui ne marche pas. Mais ça ne marche pas parce qu’on croit que c’est comme ça, pas parce que ça l’est à la base.

Ainsi Solange réfléchit à la vie, à notre société. Elle est un petit réceptacle de mes angoisses car elle me montre que la vie ça peut aller même quand ça ne va pas. Elle est l’adulte qui fait croire qu’un véritable âge adulte existe : celui d’une génération ballotée et qui veut juste naviguer, celui d’une génération qui subit en partie ce qu’on lui impose. Mais qui, pourtant, s’active pour faire bouger les choses. Qui essaye.
Elle dénonce, parle, crie ou chuchote.

Mais Solange n’est pas parfaite, non, bien au contraire. Et c’est ça qui fait du bien, elle n’hésite pas à le montrer. Parfois elle me déçoit, comme quand elle parle plus d’elle-même et de ses aspirations plus ambitieuses que celle de Léa Seydoux au lieu d’analyser simplement sa performance. Mais le plus souvent c’est elle qui se montre à nu, qui dit qu’elle ne sait pas tout faire, qu’elle ne peut pas, qu’elle n’en a pas envie. Et que des fois elle rate.

Mais ce que je pense de Solange, c’est qu’elle est sans aucun doute capable d’écrire autre chose. Pourquoi se cantonner à la retranscription de vidéos qui se suffisent à elles-mêmes ? Elle veut sans doute se montrer sous un autre jour, elle le dit elle-même, convaincre les gens qui n’aiment pas l’écouter.



Et pourtant, j’aime l’écouter moi.
« Pourquoi elle parle comme ça Solange ? Pourquoi elle parle bizarre ? »
Elle l’explique elle-même, en vidéo, et dans le livre. Ils le disent parfaitement : son art ne peut pas se passer de sa voix. « Je suis de ceux qui privilégient l’émotion au message. » Et ça fonctionne très bien. Alors pourquoi retranscrire uniquement le message ? Son art c’est la vidéo, si elle s’essaie à un autre, autant repartir de rien. De ce vide qu’on affectionne. C’est beau une page blanche, non ?

Elle explique alors ne pas vouloir représenter le réel, avec sa voix, mais plutôt trouver un autre moyen de s’abstraire et de trouver une autre réalité, une autre émotion. Pour elle, il faut parler autrement que « normalement ». Et c’est comme ça qu’on peut atteindre autre chose de peut-être plus abstrait mais en tout cas très sensible. « Cette personne me dit (…) : « Entre toi et moi, on sait que c’est faux. » Et ça, je crois que c’est le plus grand réconfort du monde. Parce que, pour moi, cela veut dire : entre toi et moi, la vie n’est pas sérieuse. »

Solange a alors, dans cette non-véracité inventive et détendue, une délicieuse ambivalence d’être et de ne pas être. D’être là, devant moi – je crois ce que je vois – mais parfois, elle raconte, elle brode, elle tisse. Ses mots qu’elle parcoure pour inventer, pour vivre, sont ceux qui me permettent à moi aussi de vivre et d’entrevoir ce que je voudrais être, ou parfois paraître.



Ici, comme dans ses vidéos, Solange parle donc de l’image, parle de cette course aux likes, aux vues, à l’envie d’être. Son texte « Narcissique » ouvre son livre. Dans notre société, elle évoque le nombrilisme, YouTube, ses images comme celles du cinéma où l’on fait semblant, où l’on paraît pour mieux se vendre.
Elle évoque surtout cette manière d’exister qu’elle a développée, sa dépendance aux vidéos et aux regards de nous, ses regardeurs. Elle replace, avec le biais d’internet, l’humain dans son questionnement le plus large et le plus incertain : comment l’Autre fait-il de nous ce qu’on est ? Solange parle des vidéos et de l’image en général qu’on donne de nous, que ce soit par cette virtualité ou, de façon plus directe encore, par le biais des fenêtres vitrées. On s’y donne à voir dans une grande intimité calculée.
C’est aussi ça que j’aime chez Solange : la grande intimité précise et dissimulée qu’elle laisse transparaître à travers sa fenêtre électronique. Son incommunicabilité au monde se laisse voir, et sa prégnance aux Autres n’a jamais été si tendrement complice et distant à la fois. C’est ça : c’est un savant calcul d’amour et de distance.


Solange me parle donc de tout. Elle me parle d’elle, de moi, de nous. Elle parle de la société et de ses faux-semblants, de ses évolutions et de ses beautés. Elle couche avec Paris, vit avec des légumes ou cohabite avec une truite qu’elle aime beaucoup. Elle me chuchote des mots. Solange est un personnage victorieux qui nous donne envie d’être au monde.
Son livre est parfois une copie trop pâle de ses vidéos pourtant si habiles. Mais à travers une construction adroite amenant une réflexion sur la communication et l’image, il a le mérite de proposer à voir un monde dans lequel on aurait envie de progresser (ensemble, et parfois tout seul).
Il nous rappelle surtout pourquoi on aime Solange : de l’esprit, de l’impertinence, et une grande humanité, à la fois intelligente et difficile à porter.
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Solange te parle, ce sont les choses de la vie et c’est addictif. De l’art d’accueillir une bonne nouvelle à la nécessité de savoir dire « Je t’aime », d’un éloge hilarant du pénis à une réflexion sur la société narcissique, Solange, fausse neurasthénique et vraie timide, mi-ingénue mi-démon, parle du droit à la différence, du corps et du désir, de l’inadaptation, de la pornographie, de la solitude, de la génération des digital natives. C’est très drôle, insolent, et ça pousse à penser. Sur YouTube, ses vidéos ont été vues plus de quinze millions de fois.
Solange est le pseudonyme de Ina Mihalache, trente ans, comédienne, artiste plasticienne et vidéaste québécoise installée à Paris depuis 2004. Elle vient de réaliser son premier film, Solange et les vivants.

Aux éditions Payot
174 pages
12€

Commentaires

  1. Bon je crois que je vais jeter un coup d’œil à ces vidéos, mais son bouquin, bof :p

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  2. J'adore Solange ! Mais c'est vraiment dommage si son livre est une copie de ce qu'elle dit en vidéo... Je ne sais pas si ça vaut le coup que je l'achète du coup :/

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  3. Très belle chronique toute en douceur et respect qui me donne (presque) envie de me faire un marathon de toutes les vidéos de Solange te parle !

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  4. WAOUH merci Irishel ♥
    Manon il est bien si tu es fan, comme objet de collection et occasion de lire de façon plus posé ses réflexions... Sinon achète plutôt le faux magazine de Natoo, un tout autre genre, mais c'est génial ! Intelligent et hilarant.

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