"C'était comme diluer de la couleur dans l'incolore des choses." | Laisse brûler, d'Antoine Dole

Un roman polyphonique sublime, écrit par un auteur talentueux, dont on ressort haletants mais éblouis.
On connaît Antoine Dole pour ses thèmes souvent durs mais toujours traités avec son style implacable, juste et sensible. Ici, on le retrouve à ses débuts, là où son écriture se mariait à merveille aux débuts de la collection Exprim’ qui se voulait mouvante – comme aujourd’hui – mais surtout plus dure, dérangeante. Néanmoins, on retrouvait toujours une musicalité certaine dans les livres de la collection : un style mélodieux et rythmé, à la voix singulière, souvent brute, que Tibo Bérard allait chercher dans le slam. Si ce n’est pas là qu’il a trouvé Antoine Dole, c’est tout de même un auteur à la plume sauvage, élancée et exigeante qu’il a su déniché. Dans Laisse brûler, Antoine Dole est au sommet de son art, dans un roman dévastant, là où la déchéance humaine et sociétale est souillée et craquelée, mais où peut naître l’espoir, même au fond des cendres.

L’histoire, c’est celle de trois hommes, qui prennent chacun leur tour la parole. Il y a Noah, d’abord, ce jeune homme cassé par une relation qu’il semble avoir vécu avec une passion dévorante. Il essaie tant bien que mal de s’en remettre. Puis il y a Maxime, son nouveau petit ami, qu’il lâche un beau matin, sans vraiment de raison. À son tour, Noah fait du mal, et même sans le vouloir. Et il y a Julien, le premier petit ami de Noah, qui se réveille, un jour, bâillonné et ficelé à une chaise, en grand danger… de mort ?

Avec ce récit polyphonique, Antoine Dole touche en plein vol. Il va au plus profond des émotions de chaque personnage, et les ramène à leur essence la plus brute, saisis dans leur chute avec précision et justesse. C’est la dénaissance et la renaissance de trois hommes auxquelles on assiste dans la plus grande impuissance. La déchéance est percutante, et surtout très intime. Et c’est dans cette intimité que la singularité du roman s’impose, avec ce tableau ignoble et magnifique de trois hommes laissés pour compte, en moins que rien.

On trouve dans ce portrait figé dans un cri, le visage d’une société où reste maître mot « la collision entre soi et le reste ». Le rapport aux autres s’érode contre les récifs de nos émotions cisaillées et de nos peurs les plus intimes. Se joue alors, sauvage, le théâtre de nos pertes quand on ne peut plus se rattraper ou rattraper les autres. Doit-on se relever seul où trouver foi en l’autre ? Antoine Dole dessine ici une société essoufflée et impuissante, où notre monde plein de souillures ne peut plus rien. Comment remonter, comment espérer enlever les craquelures, les souillures et les désillusions, quand on nous laisse brûler ? 

C’est avec ce portrait difficile que Antoine Dole aborde aussi d’autres thèmes plus durs encore, sombres et poignants : la perte, la solitude, la rage, la vengeance, le viol. Il le fait brutalement, sans parure, avec simplement son langage brut et puissant, ardent et tourmenté, rauque et pourtant élégant. La polyphonie de sa narration est touffue mais réussie, gagnant dans la non-linéarité de la narration, une complexité scénaristique épatante, tandis que son exigence stylistique fait gagner à son œuvre une épaisseur singulière.

Ainsi, dans ce roman dur, exigeant, tourmenté et juste, Antoine Dole fait sombrer ses personnages dans les cendres, pour mieux les fouiller, dans leurs mouvances durement humaines. Il questionne nos rapports aux autres, et notre difficile remontée au sein d'une société essoufflée et impuissante. C'est le texte implacable de la "collision entre soi et le reste", le texte comme un récif de nos frottements plein de souillures et de craquelures à un monde où l'espoir peut rejaillir... mais seulement au fond des cendres. Avec Laisse brûler, on touche donc au sublime, dans son sens artistique premier : attirant et repoussant, magnifique et horrible. On en ressort haletants, cassés mais éblouis.
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Il y a Noah, éternel étudiant, qui se gave de rancœur et de médicaments depuis qu'un certain Julien l'a anéantie,. Ses journées, il les passe assis sur un banc, en bas de l'endroit où c'est arrivé.
Il y a Maxime, scénariste- télé raté, qui tombe amoureux de Noah juste au moment où celui-ci rompt avec lui - et ce qu'il croit d'abord être une banale rupture fait exploser sa vie.
Et puis il y a Julien, animateur- vedette d'une chaîne câblée, qui s'éveille nu, dans une cave... ligoté à une chaise. 
Noah, Julien, Maxime : trois trajectoires qui se croisent et s'embrassent pour mieux s'embraser. A l'origine de ce triangle noir, un secret abyssal ; le brasier d'une plaie ouverte qui consume les êtres et s pousse aux pires folies.

Aux éditions Sarbacane, collection Exprim'
189 pages
15€50

Commentaires

  1. Wow.
    J'essaierai d'en tirer des leçons. Pour progresser. C'est pfou, époustouflant cette chronique. ^^

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  2. Je sors d'un stage chez Sarbacane où j'ai rédigé pas mal d'analyse, et tes chroniques sont dans cette veine: tu décortiques l'oeuvre avec brio! A présent, je vais tenter d'écrire des chroniques avec cette même fluidité et ces liens entre les paragraphes qui font toute la différence!

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