"En réalité on ne faisait que se révéler soi-même."

Lucides est un titre intriguant, jouant très bien avec l’histoire au niveau du sens : est-ce que les deux héroïnes sont en pleines possession de leurs capacités mentales ? Sans doute que non, mais laquelle des deux peut-on donc croire ? Peu nous importe, au début, on s’attache à l’une, puis à l’autre, avec une grande facilité. Les livres de la collection R ont cette faculté assez étonnante, de dégager un sentiment d’attachement, une alchimie forte qui nous accroche au livre. On ne le lâche plus, et ce, ici, jusqu’à une fin explosive – peut-être que le livre ne tient en soi que dans cette fin ?

Sloane et Maggie alternent leurs points de vue. Totalement opposées dans leur façon d’être et de vivre, elles ont pourtant un point commun loin d’être négligeable : la nuit, elles rêvent de la vie de l’autre. Ainsi, elles s’interrogent, s’inquiètent, se perdent : qui sont-elles vraiment ? Sont-elles normales ? Comment revenir à une réalité qui ne sera pas altérée par ces nuits ? Mais après tout, quelle est la réalité de chacune ?

Le schéma mental classique qui nous permet de concevoir ce qu’est la réalité est ici totalement bouleversé. C’est en fait ce qui fonctionne le mieux dans le roman. La réalité  d’une personne n’a plus lieu d’être car on ne comprend plus où en sont les limites. Sans celle-ci, il nous est incapable de bâtir des certitudes sur cette histoire. Les auteurs seuls savent, dans leur schéma narratif alterné, qui parle, et pourquoi. Jusque la fin, la tension va monter et l’altérité s’intensifier. Les cinquante dernières pages offrent un intense capharnaüm dans lequel on ne sait plus, nous-mêmes, où on en est. Le livre vaut le détour rien que pour cet exercice narratif étonnant mais réussi, dynamique et jouissif.

L’histoire et les personnages ont bien heureusement leur intérêt aussi, dans une intrigue plutôt prenante, avec des relations intéressantes entre les personnages, une construction de ce tissu humain réussie. Néanmoins, les clichés persistent, comme dans beaucoup de livres de la collection et agacent. Les filles n’existent ici que pour les garçons dont elles tombent amoureuses, et même si l’une des deux histoires est plutôt touchante, le tout est non pas mièvre mais exaspérant. De plus, les nuances sont en porte-à-faux : elles sont présentes, mais cachent la superficialité et le manque de construction de certains protagonistes.


Le tout est malgré tout soutenu par un rythme fort, et une écriture plutôt bonne qui pêche néanmoins un chapitre sur deux. Les parties sur le personnage de Maggie sont plus fluides, mais aussi plus complexes.

Lucides est donc le prototype parfait de la Collection R (une intrigue rythmée avec des personnages attachants et à la fin explosive), mais en mieux ! C’est une belle expérience de lecture qui interroge notre psychique, ses facultés étonnantes d’abstraction ou de création. Un roman fort, mais qui manque encore de charme et de risque.

Sélectionné pour le prix La Voix des Blogueurs #3


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Par Ron Bass et Adrienne Stolz
Aux éditions Robert Laffont, chez la collection R
384 pages
18€90

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