"Voilà comment je vois les choses, tout le monde a droit à son miracle."


                John Green sait s’y prend avec l’écriture, et il nous l’avait déjà prouvé avec Qui es-tu Alaska ? et - si l’on oublie l’ordre chronologique - avec l’indéniable Nos étoiles contraires qui reste le plus grand succès de l’auteur. Où se tient réellement le talent de cet américain adoré par quelques millions de personnes et respecté par beaucoup ? Avec Paper Towns ou La face cachée de Margo, bientôt adapté au cinéma avec Nat Wolff en tête d’affiche, il nous est une nouvelle fois délicat de répondre à cette question tant la magie opère encore. Maître des mots, virtuose des émotions ou prodigieusement apte à comprendre l’adolescence dans sa splendeur insolite et ses singularités cachées ?

                « Voilà comment je vois les choses, tout le monde a droit à son miracle. »

                L’intonation est lancée avec finesse. Aux premiers mots de Quentin, on retrouve les apparats de John Green qui sonnent pourtant justes, et fonctionnent avec  minutie, dans une intonation d’une vérité simple, mais grave. Avec des mots élémentaires, il construit des réflexions qui le guideront tout au long du roman, avec la complexité de celles-ci, mêlée à celle de la vie. John Green se réaffirme dès le début de ce roman comme un maître en la matière : lancé dans l’action à l’état vital, celle de la réflexion d’un personnage qu’on semble connaître depuis longtemps et qui s’adresse soudain à nous pour nous raconter quelque chose qui l’a changé et qui nous changera. On est embarqués dans ces mots très simples et pourtant très forts qui semblent peut-être montrer une certaine vanité qu’on ne lui reproche pas, bien au contraire, mais qu’on lui reconnaît avec respect, celle d’affirmer des choses qu’il pense et sans en avoir peur. On retrouve un peu d’Augustus en John Green, et si là n’est pas le sujet, il faut ainsi reconnaître un peu de Quentin en John Green, nous en reparlerons.

                Ainsi, John Green s’exprime à travers ses livres et c’est ça qui marque d’abord son talent : la capacité à comprendre le monde qui l’entoure, à affirmer ses réflexions, et à les transmettre avec son art des mots. Il y glisse toute la douceur de la vie comme toute sa vigueur. C’est peut-être ce qui fonctionne le plus : on y reconnaît ce qui nous entoure, mis en valeur avec maîtrise, ou déprécié avec véracité. En fait, on se prend à chercher dans ses mots ce qu’on attend : une réponse à une question, ou une question même. Mais s’il apporte tout un tas de réponses comme un nombre fort de questions, il fait ce qu’on fait toujours : réfléchir, proposer, écrire, parler, vivre. Il a juste cette capacité à transformer tout cela en mots, rigoureux, talentueux.

                Finalement de quoi parle vraiment John Green dans ce roman ? Du fait qu’on attend tous un miracle, qui devrait arriver un jour et qui est peut-être arriver sans qu’on le sache ? De l’histoire de Quentin Jacobsen, jeune homme tourmenté par une jeune fille,  mais quelle jeune fille : Margo Roth Spiegelman, ou un mystère entier, qui cherche, en vain, à la cerner ? De villes de papier et de gens de papier qui ne sont que des pâles copies humaines pas capables de plus que de voir leur propre nez ? De l’adolescence et de son accomplissement, d’un apprentissage de la vie et des autres qui passe par soi-même ? John Green croise et décroise ses intrigues et ses réflexions en quelques centaines de pages bien écrites, et amenées avec soin à nous toucher. Il nous ébranle par sa justesse quand on s’y reconnaît ou qu’on y reconnaît l’existence dans son ensemble, tandis qu’il nous touche dans la beauté de ses personnages, les péripéties qu’il leur arrive mais aussi leur vie en générale. Et c’est parce que l’on sent John Green dans toute son roman que l’on comprend que son histoire est si émouvante : comme un Quentin timide, mais qui sait prendre son assurance avec les autres, et sait trouver ses propres vérités, dans lequel on a envie de reconnaître son auteur.

                En fait, le récit est, à vue de lecture, une aventure presque en road-movie légèrement fixe, et remue de cette vie et de ces pensées habiles et justes. Extrêmement rythmé comme réfléchi, il allie la justesse des mots et de leur fond, la force de la véracité du récit, l’attachement aux personnages comme à l’auteur et ainsi une histoire cadencée et troublante. On y reconnaît jusque dans le style l’adolescence et son apprentissage, et on en ressort peut-être de nouveau un peu adolescent qui se sent soudain adulte.

                Finalement, oui, on attend tous notre miracle. Mais à la fin de ce roman, on se dit qu’il n’y en a peut-être pas qu’un, et que s’il n’y en a qu’un, on ne va pas passer sa vie à l’attendre, sachant qu’on pourrait très bien se tromper. De plus, on a beau voir en l’autre ce qu’on attend de voir, on peut se tromper. John Green nous livre une forte leçon de vie sur soi et les autres à travers une histoire trépidante et pleine de mystères : en fait, les autres sont un mystère pour chacun, et on ne sera jamais capable d’être réellement cerné, et peut-être même pas par soi-même. On voit dans les autres des êtres de papier parce qu’on a envie qu’il le soit, ou inversement. Et un papier ne demande qu’à être lu, avec soin. John Green signe ici avec mesure et délicatesse un roman excitant, aventureux mais surtout juste et vibrant.




By John Green
Bloomsbury Publishing
308 pages
7,95 €






Par John Green
Aux éditions Gallimard Jeunesse - Collection Scripto
400 pages
15,90 €



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