"Il paraît que les grandes douleurs sont muettes : elles sont surtout solitaires."


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Par Erwan Larher
Aux éditions Plon
240 pages
19 €

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                L’abandon du mâle en milieu hostile, jeune ode d’un mâle amoureux inconnu d’un tel sentiment, est un roman tout en bravoure qui arpente avec affront une littérature contemporaine souvent redondante en offrant un récit brut, dur, parfois sensible, parfois bouleversant, et le plus souvent osé avec nargue. Ce livre débarque avec violence mais aussi un plein de tendresse parfois redoutable, et laisse le lecteur assommé par un récit qui émeut au plus haut point, et dans un grand nombre de directions opposées qui s’animent pourtant entre elle avec une consonance rare et singulière, qui finit par être en un sens évidente. Ce récit tout en chaleurs nous montre alors comment les mots peuvent prendre à la gorge comme en découler, en longs râles de douleur, d’amour, ou chuchotements discrets amoureux éperdus, ou cris endeuillés.


                Notre mâle, en mal d’amour, jeune fils à papa étudiant avec ferveur et détermination, un brin révolté mais pour donner l’impression, tente, le jour ou une jeune et incroyable fille plutôt femme débarque dans la classe, de s’en approcher, quitte à s’y brûler. Il est au départ difficile de trouver un certain attachement un peu singulier pour ce héros un peu classique, un peu hypocrite, un peu trop lâche et rembourré dans son confort, quand on trouve en ce pendant féminin une certaine grâce dans cette jeune femme marginale, intriguante. S’il est difficile de les aimer séparément on éprouve un écho apaisant quand ils sont réunis, et qui concorde à une histoire qui s’épanouit dangereusement, avec authenticité. 


                Les mots sont justes. On croit au départ à une écriture vantarde, un brin nombriliste linguiste, puis on fouille et on comprend un style plutôt outrageusement travaillé, comme provocateur avec des mots forts, une coque protectrice qui cache la sensibilité de l’attachement, de l’attraction presque physique de l’auteur à son histoire. Comme s’il cherchait à offrir la réelle sensibilité du récit à ceux qui la méritent. Puis surgit peu à peu au fil des pages une certaine nonchalance d’un auteur accoutumé au lecteur, de mots jetés parfois au hasard avec une détermination qui, elle, sait où elle se rend. Si on accorde à l’auteur cette responsabilité, ou au mâle qui est lui accoutumé à écrire, ou ce mérite instable, on trouve, après réflexion, une origine plus profonde à cette torpeur des mots parfois délicate ou criarde, quand on se prend soi-même dans ce confort doux et aigre des mots un peu fous d’Erwan Larher. Ces mots nous renforcent, nous ont grisé à les gravir, nous ont abîmés, usés, avec cette impression fugace pourtant de n’avoir jamais réussi à arriver au bout. Des mots durs mais crevants, et perçants, et sensibles. Une plume implacablement talentueuse.


                Au milieu d’une époque en demi-teinte, entre bouleversements politiques et culturels, l’histoire construit son cocon, sensible à cette ambiance dynamique, empathique. Loin d’une indifférence à ce contexte décrit avec sincérité, elle s’y attache et prend racine dans des bouleversements peut-être parfois trop pointus si on ne s’y connaît pas (on parle ici des années 80), mais qui donnent au récit une matière franche et profonde. Le héros évolue au milieu de désordres sociaux et chambardements politiques quand il y a alternance ou assassinats politiques. Sa bientôt compagne y prend elle goût et trouble elle-même son époque culturelle, peut-être même jusqu’au politique, simple et dur.


                Et le récit qui évolue dans d’autres directions garde en décor cette époque perturbée pour s’unir avec adresse à une histoire d’amour douce-salée, un peu aigre, insolite et piquante. Les deux héros qui s’unissent et se repoussent comme des aimants curieux, sont comme attentifs à chaque mouvement de l’autre comme si ceux-là seraient mouvements du monde, et inversement. Avec tendresse, on s’attache à ce couple, et chacun nous retourne une affection étrange, inattendue. Si ce mâle, saisissant, nous intriguait, ne nous remuait pas, il finit par toucher le lecteur dans son effacement glorieux, dans son amour parfois trop divin. Il est finalement si facile de s’y identifier, sans bizarrerie, avec une force inouïe, avec souplesse.


                En filigrane se dépeint cet avertissement qui tremble les mots. Discussion rare où l’amour franchit les mots, notre mâle envoie à son interlocuteur son histoire, pour la rendre plus vraie, pour éviter de la mystifier, de l’imaginer, de la perdre dans son ahurissante transparence. Ca tremble ça tombe ça éclate ça finit par tout faire tomber en sentiments corrodés, corrosifs, éloquents, déchirants. L’émotion, à son comble, explose en mots acerbes ou savoureux, avec habilité, et de façon rude. Avec ces mots étranges, parfois difficiles, Erwan Larher cherche peut-être à nous mettre face à une vérité crue mais stylistiquement travaillée. Cette histoire d’amour suave, incroyable, perd ses mots ou les amasse en trop grandes quantités. Et si les mots étaient le moyen de s’absoudre de ces grandes douleurs si solitaires ? Et si un amour ne durait pas toujours parce qu’il mérité plus d’être fort ? Et si les mots lancés sur le papier étaient tout ce qu’on est ou ce qu’on a le droit d’être. Et si nos vérités s’y trouvaient ? Que reste-t-il après un tremblement de vie ?


                En fait, cette femme nous échappe comme au héros tout le long du roman dans son aigreur et sa grâce, tandis que le mâle, en ces mots, conte une fable étrange, un apprentissage lent et émérite, insolite, inhabituel de la vie, comme de l’amour. En conclusion, on trouve en fait dans les mots au départ emphatiques, une réceptivité et une affection pleine d’émotion, pour un récit qui par de nombreux chemins nous évitent un trajet déjà vu, et nous entraîne de manière viscérale au cœur d’un frissonnement d’une vie qui s’écroule en partie, qui doit se reconstruire par les mots, ou tout simplement se justifier. Le narrateur, agaçant, attendrissant, ou pitoyable, s’acharne dans ce drame grelottant à essayer de vivre, dans une époque faite de bruissements, et d’argent en tous genres. Si l’on sort profondément attaché au héros, on voit dans ces mots la vérité pure et simple qu’ils existent pour avancer, pour se sauver, pour sursauter, pour s’émouvoir, et non seulement pour raconter, ce qu’Erwan Larher, dans les deux cas, réussit avec brio.

              

◄►◄►◄ LES + ? ►◄►◄►
- Une écriture aux mots justes et forts, un style déroutant
- Une voix qui appelle, qui lance, qui émeut
- Deux héros fouillés, précis, cherchés
- Une description talentueuse d'une époque


◄►◄►◄ LES - ? ►◄►◄►
-Un début étonnant qui finit par se placer en point fort



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Un roman tout en bravoure au récit brut, parfois sensible, parfois bouleversant, et le plus souvent osé.

http://lavoixdulivre.blogspot.fr/p/prix-lvdb.html


" Plus d'un soir, m'endormant contre toi, je me dis que tu avais changé ma vie pour toujours. "

"L'absurde naît de cette transformation entre l'appel humain et le silence déraisonnable du monde."

"Je délire, je divague, je t'aime."

" Le bonheur se partage mais le désespoir est solitaire."

" Pourquoi le quotidien tuerait-il l'amour puisque précisément l'amour ne se vit qu'au quotidien ?"

Si le temps le veut bien, on changera nos vies pour toujours.

Commentaires

  1. Je l'ai acheté à sa sortie... et toujours pas lu...

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  2. Coucou !
    Tout d'abord, sache que ce livre est définitivement le prochain que je dois me procurer. Tu sais le vendre et rien que le résumé a su avoir raison de moi, de ma curiosité. L'atmosphère parait presque sombre mais addictive. Brr, j'ai tellement hâte de m'y plonger à corps perdu !
    Ensuite, je dois t'avouer que j'admire ton style. Est-ce qu'on peut trouver un style d'écriture défini à travers des chroniques ? Oui. Et le tien s'aiguise de jour en jour.
    Merci beaucoup !

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    1. Merci c'est vraiment touchant !
      N'hésitez pas à lire ce livre incroyable...

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