31 chambres à soi #19 | Anne-Fleur Multon par Marie Alhinho

Un portrait d'autrice par jour écrit par une femme durant le mois international des droits des femmes

À l'occasion du mois international des droits des femmes, 31 femmes d'exception vous proposent de partir durant tout le mois de mars à la rencontre de 31 autres femmes, toutes autrices, aussi talentueuses et impressionnantes que les premières.

Ainsi, chaque jour, pendant un mois, sur La Voix du Livre, découvrez un portrait d'une autrice, française ou étrangère, contemporaine ou historique, de littérature générale, jeunesse, musicale ou illustrée, écrit par une invitée, qu'elle soit autrice elle aussi ou bien illustratrice, blogueuse, chanteuse, dramaturge, comédienne, professeure, youtubeuse...

C'est parti pour un mois d'exploration de 31, voire 62, chambres à soi, ces lieux immanquables de littérature où les femmes trouvent, enfin, leur place.

Jour 19 : Marie Alhinho présente Anne-Fleur Multon
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— Toc ! Toc ! Toc !
— Oui ?
— Bonjour ! Je me présente, Patrick Yarcat, représentant en inégalités sociales, stéréotypes de genre et normativités éculées. Je me permets de venir vous proposer mes services, car vous êtes catégorisée sur nos listes comme femme, queer et, en plus !, auteur jeun…
— Ah, non, je suis désolée. Ça ne va pas être possible !
— Pardon ?
— Non, je dis : ça ne va pas être possible, en fait. Déjà, on dit autrice.
— … ?
— Vraiment, je suis désolée : on ne veut pas de vous, ici !
VLAM !

Il n’y a jamais eu de révolution à demi-mot.
Ça, je pense que c’est le leitmotiv d’Anne-Fleur Multon.
Anne-Fleur, c’est une personne qui n’a pas peur de claquer la porte au nez de la normativité. Ou alors, elle a un peu peur, mais elle préfère quand même dire merde et assumer les conséquences après. Quand elle dit non, c’est non – et c’est très bien.

Les normes, on peut dire qu’elle connaît. Prépa Chartes, Sorbonne et même un pied dans Normale Sup’, elle a été confrontée à des institutions classistes, racistes et bien souvent sexistes, jusqu’au Collège de France où elle était venue bien sagement écouter une conférence. Mais trop, c’est trop, et il a bien fallu dire stop au bout d’un moment.
C’est comme ça que, envoyant valser les Lettres Classiques et la liste des rois francs par ordre de taille croissant et décroissant (j’exagère un peu, mais je crois que je n’exagère pas trop), Anne-Fleur s’est intéressée aux objets les plus illégitimes des Humanités : d’abord, la sociologie du plaisir féminin puis, revenant à ses premières amours, la Littérature de jeunesse.
En articulant son mémoire de recherche autour de son auteur préféré, elle n’a pas eu peur de sortir les squelettes du placard : oui, Bottero était son héros, mais il avait aussi ses côtés sexistes – et ça n’a pas arrêté Anne-Fleur.


C’est comme ça que, passant de l’autre côté de la barrière, elle a continué à étudier la Littérature écrite pour les jeunes lecteur·rices, mais aussi à en produire. Ses petites Sorcières sont nées en 2016, par une belle journée d’août, et elles ont tout de suite eu la mission de tordre le coup aux conventions. Puisque Anne-Fleur a vécu au Gabon et en Guyane, c’était impossible que les quatre héroïnes soient toutes de France métropolitaine !
Et, je peux vous dire : ça décoiffe !


Avec Allô Sorcières, la scène jeunesse française a connu un boum : des petites filles noires et métisses, athées, chrétiennes ou musulmanes, de métropole ou de territoires francophones partout dans le monde, avaient enfin des figures auxquelles s’identifier. On pourrait croire que c’est un détail, ces grands yeux pleins d’étoiles, mais non : ce détail, c’est le début de la fin d’un système qui a perduré trop longtemps.

Je me souviendrai toujours du regard d’Anne-Fleur, un jour qu’elle revenait de dédicace, et qu’elle m’a rapporté les mots de cette petite lectrice : en découvrant la couverture de Viser la lune, elle s’est tournée vers sa mère et s’est étonnée – « Regarde, maman, elle vient de Guyane comme nous ! » Et voilà une petite fille face à un modèle qui lui ressemble et qui n’a peur de rien.


Allô Sorcières, c’est un divertissement avant tout : cette série est là pour émerveiller, faire rire, rappeler l’odeur d’un orage d’été et des baignades dans la rivière. Plus que ça, pourtant, c’est aussi un éveil au féminisme, à l’antiracisme et à la tolérance (amour de soi et amour des autres). C’est un combat de tous les instants et, pourtant, on y revient sans cesse avec plaisir. On la relit comme on revient vers la mer pour se sentir vivant, plus fort, tout neuf.

C’est aussi ce qu’on ressent au contact de l’autrice : voir Anne-Fleur, c’est s’offrir un peu de cette liberté, dépiauter le croissant pour manger le meilleur en premier. C’est une personnalité intense, passionnée, forte, courageuse, brillante, engagée, belle et altruiste. Une personne à célébrer pendant le mois de lutte pour les droits des femmes, parce qu’elle n’aura pas le temps ni l’énergie de le faire elle-même (trop occupée à célébrer et à lutter pour les autres).

Un seul conseil : suivez cette artiste de près. Vous n’êtes pas au bout de vos surprises !
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Marie Alhinho a étudié la littérature médiévale et la littérature jeunesse à l'ENS à Paris avant de décider d'en faire des histoires. Autrice jeunesse et young-adult, elle vient de publier son premier roman chez Poulpe Fictions et s'apprête à partir pour deux semaines, sur la route, aux États-Unis, pour un projet d'écriture de roman participatif en live avec l'autrice et booktubeuse Nine Gorman.
Elle vit aujourd'hui aux États-Unis mais compte bien rentrer en France pour rencontrer ses lecteur·rices !


Commentaires

  1. Un portrait qui ne fait pas dans la demi-mesure ! Ca claque ! Et je vais donc commencer cette série (Allô Sorcières), dont j'hésitais encore à soulever la couverture :) Merci !

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